25 juillet 1944 : Une journée tragique à Sain Bel
Résumé
Le 14 octobre 2004 était inaugurée une plaque à la mémoire des victimes juives assassinées à Sain-Bel en juillet 1944 ; cérémonie émouvante qui rassemblait les survivants et les descendants ainsi que les habitants de Sain-Bel.
Mais que s’était-il passé en juillet 1944 ?
L’évacuation des enfants de Saint-Fons
Déjà traumatisée par le décès du Sain-Bélois Joseph Volay, résistant du maquis F.T.P. de l’Azergues, fait prisonnier aux combats de Monchat et fusillé au fort de la Duchère, le 27 mars 1944, la population allait vivre une nouvelle journée tragique, six jours après l’exécution par l’occupant à Châtillon-d’Azergues de 52 détenus extraits de la prison Montluc à Lyon.
Le 26 mai 1944, Lyon subit un terrible bombardement par l’aviation anglo-américaine ; le bilan fait état de 700 morts, plus de 1 000 blessés et des dégâts considérables. Devant les risques présentés pour les cités industrielles de la banlieue lyonnaise, le préfet du Rhône décide l’évacuation obligatoire des enfants de 6 à 14 ans, en particulier ceux de la commune de Saint-Fons : environ 70 enfants, garçons et filles, sont évacués à Sain-Bel début juin. Les garçons sont accueillis à l’ancienne école de garçons par M. Rougerie, directeur, et par M. Cottin président de la Délégation Spéciale qui a remplacé le Conseil municipal dissout en 1941. Les filles sont admises à l’ancienne école de filles, rue du Moulin, dirigée par Mlle Charlet.
Beaucoup de ces enfants sont juifs, la ville de Saint-Fons comptant en effet une forte colonie marocaine de confession juive depuis la Première Guerre mondiale. Les petits réfugiés sont répartis entre les familles ; ainsi, les deux frères Abergel, Simon 8 ans et Joseph 7 ans sont hébergés place du Marché par Mme veuve Claudius Pothier, née Decotton, Yvette Chekroun, 10 ans, est confiée à la famille Saint-André, quai de la Brévenne. Henri Cohen, 14 ans, est d’abord placé à la ferme de Mlle Claudia Roux, aux Alouettes.
Un couple diabolique à Saint-Fons
Une autre menace plane sur les autres familles juives de Saint-Fons, celle du couple Goetzmann-Benamara, auxiliaires français de la Gestapo à laquelle ils livrent des innocents pour la déportation en échange d’une prime.
Charles Goetzmann, dit "le boîteux" où "guigne à gauche", à cause de sa claudication due à un accident, est né en 1912 à Lutter (Haut-Rhin) ; il a connu la prison et les asiles psychiatriques avant de se "spécialiser" à Saint-Fons dans la traque des juifs. Il opère avec une aventurière qui lui sert d’indicatrice, rencontrée à l’école de Santé Militaire de Lyon, siège de la Gestapo : Jeanne Hermann née à Obernai (Bas-Rhin) en 1921, épouse d’Abdelkader Benamara, qu’elle a quitté pour suivre Goetzmann. Celui-ci disposait également parmi la population de Saint-Fons de deux autres indicatrices. De 1943 à 1944, 22 familles de cette commune figurent au tableau de chasse du couple : 66 personnes arrêtées, 48 déportées, 36 décédées.
Sain-Bel, lieu de refuge
La famille Cohen qui avait fui la région parisienne pour Saint-Fons, le père en 1942, le reste de la famille en 1943, ne se sent plus en sécurité. Elle choisit de venir à Sain-Bel reprendre son fils Henri. Le déménagement est assuré, fin juin, par un cafetier de St-Fons, Mohamed BenAmar Selmi, dit «Amar», d’origine algérienne, connu de Goetzmann. Le couple Cohen et ses deux autres enfants, Josette et Annette, s’installent dans le quartier du château, maison Diez ; la grand-mère et son autre fille, Rosette, dans une maison voisine. Elie Abergel qui élevait seul à Saint-Fons ses deux enfants, Simon et Joseph, avec l’aide de la famille Cohen, rejoint aussi ses deux garçons à Sain-Bel.
M. Auguste Matringe, directeur de l’usine Saint-Gobain à Saint-Fons, fait transférer aux mines de Sain-Bel, début juillet, 31 familles ouvrières israélites (16 couples, 50 enfants, 5 célibataires) ; elles sont hébergées à Saint-Pierre-la-Palud dans des baraquements qui ont accueilli en 1939 des familles de mineurs, évacuées de Moselle. Parmi ces familles de Saint-Fons, celle de Annette Chekroun (sœur d’Yvette), épouse de Salomon Alloul.
Le 24 juillet, les parents Chekroun, désireux de se rapprocher de leurs filles, rejoignent aussi Sain-Bel où la famille Cohen les héberge dans la Maison Diez.
Journée tragique à Sain-Bel
Le lendemain, en fin d’après-midi, la camionnette du déménageur Amar est de retour place du Marché à Sain-Bel ; elle transporte Goetzmann et sa compagne, ainsi qu’un autre individu non identifié ; c’est la famille Cohen qui les intéresse.
Annette Cohen qui descend du quartier du château est interceptée la première sous la menace d’un revolver. Elle doit conduire Goetzmann à la maison de ses parents occupée seulement à cet instant par sa mère Reine Sultana et Chemoul Chekroun, père, qui essayent de s’échapper par une fenêtre du 1er étage ; Mme Cohen est capturée ainsi que sa fille Annette, qui s’est brisée la jambe en sautant de la fenêtre. Quant à Chemoul Chekroun, il est assassiné dans la maison, la gorge tranchée.
En emmenant les deux femmes, Goetzmann rencontre fortuitement, place du Marché, les petits Abergel qui ont eu le tort de montrer qu’ils connaissent Mme Cohen. Malgré le désespoir de Mme Pothier, ils sont également arrêtés et transportés à Lyon à l’hôpital de l’Antiquaille, appelé aussi hôpital Saint-Pothin.
Mme Cohen et sa fille sont conduites et interrogées dans les locaux de la Gestapo installés place Bellecour depuis le bombardement du 26 mai. Mme Cohen est internée à la prison Montluc ; sa fille Annette est hospitalisée à Grange-Blanche où des protections lui éviteront la déportation.
Au soir du 25 juillet, la peur gagne les familles juives réfugiées à Sain-Bel ; certaines fuient dans la campagne. Un Sain-Bélois, Claudius Faucon, dit "Siki", conduit à pied des membres de la famille Cohen à Saint-Julien-sur-Bibost ; ils passeront la première nuit dans la grange de Jean-Marie Chambe à Jailly avant d’errer dans la campagne.
Mme Cohen et les enfants Abergel seront déportés à Auschwitz par le convoi 78 parti de Lyon le 11 août 1944 et conduits à la chambre à gaz.
La traque des coupables
Le jugement des coupables relève de la Cour de justice de Lyon : celle-ci recueille plusieurs témoignages : quatre à Sain-Bel le 24 octobre 1944, auprès de Jean Cottin. Primo Néri, Pierre Ferrandon et Mme veuve Pothier ; trois à Saint-Fons, le 26 du même mois, dont ceux de Elie Abergel et Annette Cohen.
En 1945, des rapports sont établis concernant Goetzmann, sa compagne et Amar. Le mandat d’arrêt est lancé par le juge d’instruction mais il faut bien se rendre à l’évidence, les trois coupables ont disparu.
Le 11 mars 1946, la Cour de justice condamne par contumace, pour trahison, les trois inculpés à la peine de mort, avec confiscation des biens et à la dégradation nationale. Il faut attendre janvier 1948 pour voir l’arrestation par la Brigade de surveillance du territoire de Mulhouse, du couple Goetzmann-Benamara. À la veille de la libération le couple a fui en Allemagne, où Goetzmann a porté l’uniforme allemand. À son retour en France, le couple réussit à se faire passer pour des déportés politiques et obtient des cartes de rapatriés… et une prime ! Goetzmann a tranquillement repris un de ses anciens métiers, celui de boulanger, dans le petit village de Lutter, en compagnie de Jeanne Benamara qu’il fait passer pour son épouse et qui lui a donné deux filles, dont l’une vient de décéder..
Ils sont transférés à Lyon où la Cour de justice ordonne, le 14 janvier 1948, un supplément d’enquête à la suite de quoi la police procède à leur interrogatoire et recueille de nouveaux témoignages à Sain-Bel (Mmes Pothier, Gervasi, Faure et Chanfray, M. Bouveyron, le docteur Russo) et Saint-Fons (MM. Abergel, Félix Chekroun, fils aîné) et à Livry-Gargan (Annette Cohen).
Condamnés à mort
La Cour de justice de Lyon siège du 21 au 23 juin 1948 pour le jugement final ; cinquante témoins ont été convoqués pendants ces trois journées, dont ceux déjà cités. La Cour entend également Abdelkader Benamara, prisonnier à Montluc, pour avoir joué un jeu dangereux avec la police allemande.
La délibération du président et des quatre jurés ne prend que vingt minutes : Goetzmann et sa compagne, reconnus coupables de trahison, à la majorité, sont condamnés à mort avec confiscation de leurs biens et à l’indignité nationale. Leur pourvoi en cassation est rejeté le 26 juin ainsi que leur recours en grâce rejeté par le Président de la République le 17 novembre.
Dès le lendemain, les deux condamnés sont extraits respectivement des prisons Saint-Paul et Saint-Joseph pour être conduits et fusillés au fort de Montessuy. Selon la presse de l’époque, ils seraient morts courageusement.
Le déménagement de trop
Qu’était devenu le déménageur Amar ? Il faut attendre les résultats d’une enquête de gendarmerie en 1952-1953 pour apprendre officiellement qu’il avait effectué fin juillet 1944 le déménagement d’une nouvelle famille de Saint-Fons, dans la région de Saint-Julien-sur-Bibost. Repéré par des résistants du maquis "France d’Abord" dont MM. Cohen et Faucon ; arrêté et jugé aussitôt par un conseil de guerre du maquis, il avait été condamné à mort et fusillé au lieu-dit "La Bigaudière", près du Crêt d’Arjoux.
Quant aux deux indicatrices de Goetzmann habitant Saint-Fons, jugées en 1948 par le Tribunal militaire de Lyon, l’une fut condamnée à un an de prison et a cinq ans d’interdiction de séjour, l’autre, à l’origine de l’opération de Sain-Bel, bénéficia de témoignages favorables et fut acquittée au bénéfice du doute.
Des familles éprouvées mais reconstruites
– Madame Vve Chekroun (née Marie Dray) et son fils aîné Félix sont décédés ; les six autres enfants ont fondé une famille et habitent, l’un à Paris, les autres dans la région lyonnaise.
– Anna, sœur des petits Abergel, qui avait cinq ans en 1944, est toujours à la recherche de son passé ; mariée à Daniel Corcos, elle a eu une fille, Rebecca, épouse Lecat (deux enfants )
– M. Mouchi Cohen et son fils aîné Joseph (deux enfants) sont décédés. Annette Cohen, qui a épousé Elias Bitton, et son frère Henri ont respectivement cinq et trois enfants ; ils habitent Paris.
– Étaient présents à la commémoration du 14 octobre 2004 : les couples de Annette et Henri Cohen, Anna Abergel et sa fille Rebecca ainsi que cinq des enfants Chekroun (Lucien, Rosette, Gisèle, Roger et Yvette), ce qui a permis aux Sainbelois de l’époque de renouer des contacts avec ces familles et de partager leurs peines et leurs espoirs, soixante ans après.
Siby Kadosche (mère des petits Abergel), la sœur cadette de Fiby, a, elle aussi connu un destin tragique : arrêtée avec ses parents, Rachel et Simon (qui avaient pu mettre à l’abri leurs deux plus jeunes enfants), elle a été déportée le 30 juin 1944 (convoi n° 76) avec sa mère ; le père est parti avec le convoi n° 78 du 11 août 1944. Ses parents sont morts en déportation ; Simy a eu la chance de revenir et elle a épousé M. Robert Lagrange et a eu sept enfants. Elle a témoigné au procès Barbie, à Lyon.
Auguste Matringe, ancien directeur de l’usine Saint-Gobain à Saint-Fons, pour avoir protégé des familles juives de son usine, s’est vu décoré à titre posthume.
La "Médaille des Justes" a été remise à sa famille à Saint-Fons le 18 avril 2001 ; le square et la stèle Auguste Matringe ont été inaugurés à Saint-Fons le 18 avril 2003.
Maurice Berthault, 21 octobre 2004
Sain Bel honore ses quatre martyrs du nazisme
Inauguration d’une plaque à la mémoire des victimes juives
Le 14 octobre 2004, soixante ans après les évènements tragiques sainbelois, Serge Klarsfeld, président de l’association des fils et filles des déportés juifs de France, s’est rendu à Sain Bel avec son épouse, à l’occasion de la pose de la plaque commémorative dans la cour de l’école Jean Cottin. Plus de 300 personnes ont assisté à cette manifestation du souvenir. Il a déclaré dans son discours : "le soixantième anniversaire marque le passage entre la mémoire et l’Histoire".
Me Serge Klarsfeld a passé trente ans de sa vie, en compagnie de sa femme Beate, à poursuivre les nazis et les collaborateurs en fuite partout sur la planète.
Si Beate est mondialement connue pour avoir giflé à Berlin le chancelier Kiesinger, en 1968, au Congrès de son parti, en criant "Kiesinger, nazi, démissionne", Serge Klarsfeld a permis l’arrestation de Klaus Barbie et de Paul Touvier ; il a consacré sa vie à l’histoire de la Shoah. "L’œuvre monumentale de Serge Klarsfeld s’impose par l’immensité des souffrances que ses ouvrages évoquent. Sa précision et son objectivité sont le plus implacable des réquisitoires", a souligné Jean Lévy en lui rendant hommage à la tribune.
Le maire de Sain Bel, Bernard Descombes, la conseillère générale Muguette Dini et Jean Lévy délégué régional de l’association des fils et filles de déportés ont tous souligné la barbarie nazie, le courage de certains habitants et le devoir de mémoire à communiquer aux jeunes générations pour que cela ne se reproduise pas.
Cette plaque porte les noms de Joseph et Simon Abergel (7 et 8 ans) ainsi que celui de Sultana Reine Cohen, tous trois morts à Auschwitz et de Chemoul Chekroun (70 ans) assassiné à Sain Bel alors qu’il tentait d’échapper à la Gestapo.
"Simon et Joseph avaient votre âge, a expliqué Bernard Descombes en s’adressant aux écoliers. Ils n’avaient rien demandé et pourtant, ils ont été assassinés. 53 autres personnes dont beaucoup d’enfants de Sain-Bel ont pu échapper à ce génocide grâce aux Sainbelois. Vous, vous êtes la jeunesse porteuse d’espoir, d’un monde meilleur."
Anna Abergel, sœur de Joseph et Simon, survivante de la tragédie, sauvée par des habitants qui l’ont cachée et lui ont évité ainsi la déportation alors qu’elle n’avait que cinq ans, déclare à la fin de la cérémonie : « J’ai la mémoire visuelle d’un jardin, d’un couple… Cela me plairait tellement de les retrouver ». Elle ajoute un peu plus tard : « cette plaque m’aide à faire le deuil de mes frères ».
D’autres habitants de la région ont activement participé à sauver des vies humaines et l’institut Yad Vashem a effectué un sérieux travail de recherche pour retrouver ces « Justes » et les remercier.
Les Justes dans le Pays de L’Arbresle
En 1953, le Parlement israélien crée la loi relative au mémorial Yad Vashem qui honore les « Justes parmi les nations » c’est-à-dire les personnes qui par leurs actions ont recueilli ou mis à l’abri des juifs, poursuivis par les nazis ou la police de Vichy, au cours de la seconde guerre mondiale.
Dans notre pays de L’Arbresle, il faut rappeler les actions courageuses menées au collège Champagnat par le père Perret alors directeur, M. Grange, le frère Louis (André Bagny), Lily Ceschino, enseignante, Marie Metton-Bonnamour et M Lewin. Il faut aussi citer Mlle Louise Casati, professeur d’italien à Lyon qui cacha des personnes recherchées dans son grenier. Il ne faut pas oublier Louis et Hélène Cozona, agriculteurs à Lentilly, médaillés à titre posthume par l’institut Yad Vashem, le 2 décembre 1979, pour avoir abrité plusieurs familles israélites ; le père Joseph Relave, prêtre à Courzieu et sa sœur Catherine, qui firent de même dans leur village, furent également médaillés à titre posthume en 1997.
Cette liste n’est pas exhaustive car nombre d’autres personnes ont accompli ces gestes de courage et d’humanité, en connaissance de cause au moment où ils se sont engagés mais, par discrétion, n’en ont jamais parlé.
RAFLE DU 25 JUILLET 1944 À SAIN BEL
Localisation des faits d’après les témoignages de :
René Fouillet, Georgette Lathuillière, Yvette Dupupet, Henri Dupuy, Denise Neyret et M. et Mme Masia
1 – La Gestapo arrive chez M. et Mme Masia, montée de l’Église, à la recherche de deux enfants juifs, les frères Jacob, qui vont se cacher au cimetière puis dans un bois où la famille Masia les ravitaille en vivres et couvertures.
La Gestapo, malgré les fouilles, repart bredouille.
2 – La Gestapo redescend sur la place du Puits et trouve Solange Gervasi ainsi que Annette Cohen, réfugiée dont la famille est hébergée au château. Annette Cohen est obligée de conduire les agents de la Gestapo chez sa mère, à son domicile.
3 – Lieu de stationnement du véhicule venant de Saint-Fons, conduit par M. Amar, celui qui avait amené la famille Cohen à Sain Bel.
4 – Maison Diez où la Gestapo a trouvé Madame Cohen et M. Chekroun, venu rendre visite à celle-ci. Madame Cohen saute par la fenêtre ainsi que sa fille Annette qui est blessée en chutant.
M. Choukroun est retrouvé au pied de l’immeuble, la gorge tranchée.
5 – Plateforme au pied de l’immeuble. M. Chekroun est déposé sur un brancard.
Le maire, M. Cottin est présent ainsi que les membres de la Gestapo.
6 – M. Christophe Poiron, habitant plus haut, dans la montée du Château, arrive, muni d’un fusil de chasse et met le groupe en joue. Le Gestapiste met le maire en demeure de faire cesser cette menace.
Sur les injonctions du maire, Christophe Poiron se retire.
7 – Maison où habite M. Poiron ; un casque allemand est pendu au dessus de sa porte d’entrée !
8 – Habitation de Mme Pothier qui hébergeait les enfants Abergel qui furent raflés et emmenés.
9 – Place où les enfants Abergel ont été raflés car ceux-ci, reconnaissant Mme Cohen au moment où elle était emmenée par la Gestapo, l’ont interpelée et, de ce fait, ils se sont involontairement trahis.
10 – Pharmacie où a été transportée Annette Cohen, blessée.
11 – Lieu où stationnait le véhicule de la Gestapo.
12 – École Cottin. Son sous-sol servait de morgue municipale ; le corps de M. Chekroun y a été déposé en attendant ses funérailles.
Témoignage de Madame Bitton (née Annette Cohen)
Lettre adressée au maire de Sain Bel le 3 février 1998
Monsieur le Maire,
J’avais demandé, le 27 juillet 1988, à la mairie de Sain Bel une attestation indiquant que j’avais été réfugiée dans votre commune et victime de faits de guerre le 25 juillet 1944.
Cette attestation, en date du 9 août 1988, m’avait été établie par le maire de l’époque, Monsieur Berthault.
En vue d’une demande d’aggravation près du service du Tribunal des Pensions, j’ai besoin d’une attestation plus complète précisant les circonstances et déroulement des faits motivant mon infirmité civile de guerre pour laquelle je suis pensionnée.
La maison Diez, au lieu-dit "Le Château"
Résumé des faits : le 25 juillet 1944, j’ai été arrêtée place du Marché, à Sain Bel, par des agents de la Gestapo et conduite, sous la menace d’une mitraillette pointée dans mon dos, au domicile de mes parents, au lieu-dit "le Château", où ma famille était réfugiée à l’époque. S’y trouvaient ma mère, Mme Reine Cohen et un M. Chekroun. Les allemands nous ont donné l’ordre de les suivre. Refusant d’obéir, étant donné son âge avancé, ces individus ont tranché la gorge de M. Chekroun avec un couteau, dans la pièce voisine. On entendait des cris et des râles. Horrifiée et affolée, ma mère, profitant de l’inattention des agents occupés à piller, s’est jetée par la fenêtre, s’agrippant aux lierres qui tapissaient le mur.
Me retrouvant seule face à ces atrocités et menacée, je sautais à mon tour par la fenêtre, avec tout l’élan de mes quinze ans à l’époque. Je me retrouvais clouée au sol, blessée de toutes parts, ne pouvant plus bouger car j’avais la jambe droite brisée.
Dans l’état lamentable où nous nous trouvions, nous avons été rattrapées et conduites à la Gestapo de Lyon, place Bellecour ainsi que deux petits enfants Abergel qui jouaient sur le passage et avaient eu le tort de reconnaître ma mère. À la Kommandantur, nous avons été séparés… pour toujours.
Ma mère et les deux enfants Abergel ont été déportés et sont décédés au camp d’Auschwitz, en Pologne.
En ce qui me concerne, par un miraculeux hasard, après interrogatoires et sévices, j’ai été conduite, sur l’ordre des Allemands, à l’hôpital Edouard Herriot, à Lyon. Bénéficiant d’heureuses complicités internes à l’hôpital et de la part de l’ambulancier qui m’y a conduite, j’ai pu être délivrée à la Libération, en septembre 1944, restant cependant blessée à tout jamais, dans mon cœur et dans mon corps.
Monsieur Berthault, que j’ai rencontré à Sain Bel le 7 juillet 1993, à la soirée "Mémoire" à la mairie, connaît bien ces évènements et possède, je crois, des documents justificatifs ; pouvez-vous avoir la gentillesse de le solliciter et me faire parvenir officiellement cette attestation relatant les faits et circonstances exactes de l’événement. (ajouter que les coupables ont été arrêtés le 8 janvier 1948, jugés, condamnés à mort par la Cour de Justice de Lyon le 23 juin 1948 et exécutés le 18 novembre de la même année – dossier 2030)[1]
Je vous remercie par avance de l’intérêt et sollicitude que vous voudrez bien porter à cette affaire et vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments reconnaissants.
Annette Bitton
Photo prise en 2004, à l’occasion de l’inauguration de la plaque commémorative de la rafle
Au premier rang, de gauche à droite : Maurice Berthault, Yvette Dupupet, Georgette Cohen, belle-sœur d’Annette, Mme Bitton, née Annette Cohen et Marie Masia.
Au deuxième rang : René Fouillet, René Dupupet, Denise Neyret et Robert Neyret
Plaque commémorative inaugurée le 14 octobre 2004 et posée dans la cour de l’école Jean Cottin à Sain-Bel
[1] Il s’agit de deux sinistres individus, le couple Goetzmann-Benamara, auxiliaires français de la Gestapo, qui furent à l’origine des arrestations à Sain Bel.