La Glacière : naissance d’un quartier
Résumé
Dans notre numéro précédent, nous avons vu que Philippe Auguste Gonin, de retour des Etats-Unis, avait acquit des terrains sur la rive gauche de la Brévenne.
En gros, à l’est de la rue de la Passerelle de la Gare, aujourd’hui rue du Dr Dusserre. Cet ensemble était composé de terrains plus ou moins cultivés, de vignes ou de prés, parfois de chènevières. Ces terrains furent achetés pour la plupart vers les années 1850
Les constructions
Son séjour dans le nouveau monde lui avait sans nul doute donné des idées, et son esprit entreprenant allait donner naissance à ce véritable quartier industriel un dynamisme qui lui survivra. Comme nous l’indiquions dans notre numéro 23, notre homme fit construire sur ces terrains :
1) – Une vaste maison bourgeoise (A) construite en pierre dite la « Pagode », entre la rue de la Brévenne (3) et la rivière. Attenants et comme dépendances il existe d’autres petits bâtiments, notamment une orangerie. Dans un de ces bâtiments existait une cheminée monumentale. Il y a eu probablement à cet endroit, une teinturerie et une fabrique de peluche.
2) – Une grande maison de rapport (F) dite de moulinage. Cette maison est confinée au nord par la rue des Vernays(1), qui deviendra plus tard la rue Claude Terrasse : à l’est par un passage (D) et au midi par la rue de la Brévenne (3). Il y a deux niveaux avec mansardes au dessus. Elle est desservie par deux escaliers, l’un donnant sur la rue de la Brévenne et l’autre sur le passage qui se trouve à l’est. Au nord, le bâtiment est occupé par une scierie et un atelier de serrurerie mécanique.
3) – Une vaste construction (B) de 3 niveaux à sa construction aujourd’hui réduite à deux, désaffectée à ce jour ayant façade sur la rue Dusserre.
Les bâtiments sont là ; restent à les compléter par des accès, par un bief pour amener l’eau, force hydraulique, la plus utilisée alors. Un quartier est en train de naître.
Sur la vue satellite ci-dessus, il faut rajouter : C, un logement : E, un atelier de mécanique ; 2, la rue du Docteur Dusserre, 4, la passerelle de la gare ; 5, la Brévenne ; 6, la voie ferrée.
Des décisions prises en commun
En 1853 3, plusieurs propriétaires des environs (Gonin, Thevenet, Landar, Vincent, Zacarie, Suthy) se retrouvent devant notaires pour prendre plusieurs décisions 4 :
Tracer un chemin
Ils décident de tracer un chemin qui doit partir de la fabrique de peluches de M.Gonin. Traverser les terres Vernets et gravières et aboutir à l’emplacement d’une digue actuellement en ruine sur la rive gauche de la Brévenne dans les gravières appartenant alors à M Audry et actuellement à M.Thévenet, son acquéreur. Ce chemin à trois mètres de largeur, mais chaque propriétaire riverain ne peut planter de haies vives, d’arbres et se clore en pisé en maçonnerie qu’à 3 m 50 de distance de chacune des lignes extérieures dudit chemin.
Ce chemin portera plus tard le nom de chemin des Vernays, avant de devenir la rue Claude Terrasse que nous connaissons aujourd’hui
Le barrage sur la Brévenne et le canal d’amenée d’eau à l’atelier rue de la Brévenne a été construit bien avant 1855. Il faut savoir qu’à cette époque la moindre chute d’eau était utilisée.
Rue Claude Terrasse ex rue des Vernays. le canal d’amenée était à jour II y avait de chaque coté un sentier ; puis on a couvert le canal de grandes dalles de pierre et ce fut la rue des Vernays.
En aval de la passerelle de la gare, on voit la sortie de canal
Dans les années 20, la rue s’arrêtait vers la rue B. Thimonnier et la rivière, très large, venait jusque là. Apres c’était un large sentier.
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3 Acte fait et passé l’an 1853 et le 11 septembre. ainsi signé à la minute Marie Thomas, Zacarie; Suthy, Vincent,J.Michel Landar, Gonin Philippe Auguste, Peillon et Sauge, ces derniers, notaires (Thévenet a déclaré ne savoir (signer)) de l’ArbresIe suivant contrat reçu par Me Peillon notaire. Transcription hypothétique des archives départementales (Vol. 2519 – Art.2004) 4 Par devant Me François PEILLON et son confrère tous deux soussignés notaires à l’Arbresle. Furent présents MM GONIN Philippe Auguste négociant,Pierre THEVENET entrepreneur et Madame Marie THOMAS son épouse qu’il autorise agissant conjointement et solidairement; Jean Michel LANDAR, propriétaire, François VINCENT, commis négociant et propriétaire, Claudius ZACARIE entrepreneur de bâtiments et Pierre SUTHY ,propriétaire tous demeurant à l’ArbresIe Lesquels ont dit et fait ce qui suit :suivant acte sous seing privé en date à l’ArbresIe du 14 mars dernier sur lequel est la mention suivante " Enregistré à l’ArbresIe le.27 août 1853 folio 49 n° 5,6,7,8 et 9 et 13,3. Reçu principal 5 francs 5 décimes. Signé Duclaud
Faire un canal
En compensation de l’abandon d’une portion de son terrain nécessaire à la création de ce chemin M Gonin a acquis le droit de recueillir à partir de la dite digue les eaux de la Brévenne et de les amener jusque dans sa propriété sous ce chemin et à une profondeur d’un mètre par un canal souterrain qui ne devra aucunement gêner la circulation à la naissance de ce canal ajoute l’acte.
Ce canal établi sous le chemin projeté ne devait pas être trop exposé aux crues de la Brévenne.
Au départ de la digue, dans la propriété de Mme Merle il prenait une direction obligée au nord et rejoignait le tracé de la future rue Claude Terrasse, puis entrait dans le corps des bâtiments au point D de la vue aérienne ; il en ressortait par la rue de la Brévenne et retrouvait la rivière légèrement en aval de la passerelle ; la trace de cette sortie est encore bien visible (voit photo).
Construire une digue
M Gonin établira une défense en maçonnerie avec l’aide volontaire des intéressés pour l’entretien de cette digue et prise d’eau. M. Audry ou son acquéreur propriétaire des gravière où est établie la digue actuelle ou son voisin immédiat cède à M. Gonin en toute propriété une profondeur de gravières de vingt mètres sur la largeur de la digue à établir et établie déjà à partir du chemin projeté au point de départ des conduits ". Ce chemin traversera des terres n’appartenant pas à M Gonin
En compensation M Gonin prend à sa charge la partie des dépenses la digue pour laquelle les intéressés devaient contribuer à l’érection de la digue qui sera faite dans l’année. Elle sera en maçonnerie et M Gonin se servira des matériaux de l’ancienne digue et de tous ceux qu’il trouvera sur les lieux et sa maintenance. Elle aura la hauteur et la largeur qu’il jugera à propos de lui donner pour sa parfaite solidité. Elle touchera par une de ses extrémités la gravière des mariés Thévenet sur laquelle M Gonin aura toute facilité, aisances et dépôts en tous temps pour la construction, entretien et réparation de cette digue qui appartiendra à M Gonin mais les mariés Thévenet entendent expressément conserver leur propriété et n’accorder à M.Gonin que les dites facilités, aisances et dépôts.
La digue sera entretenue et réparée par M Gonin, les autres comparants et tous intéressés à sa construction dans la proportion pour chacun de la valeur de sa propriété et de ses risques. Quant au canal M Gonin reste seul et à ses frais chargé de son établissement et de son entretien et il sera tenu d’indemniser MM Vincent, Landar et les mariés Thévenet du préjudice que pourrait causer plus tard à leurs propriétés les travaux de réparation et d’entretien de ce canal.
La succession Gonin
Monsieur Ph-Auguste Gonin est décédé à l’ArbresIe le 26/09/1876, sans laisser de postérité à l’âge de soixante ans et exerçait le métier de manufacturier. Un testament olographe en date du 30 décembre 1875, enregistré le 9 novembre 1876 instituait pour son héritière universelle Madame Trévoux aujourd’hui sa veuve.
Quelques années plus tard la veuve Gonin va former avec un sieur Boyer, manufacturier de son état une société dans laquelle elle fait apport des immeubles qu’elle possédait à l’Arbresle ; la Société Gonin-Boyer.
Mme Veuve Gonin s’est éteinte le 27/01/1887 à l’ArbresIe après avoir institué le sieur Pialoux son neveu comme légataire universel. Celui-ci mineur au moment du décès de sa tante par déclaration faite au greffe du tribunal civil de Lyon le 13/06/1892 accepte le legs universel.
La Société Gonin-Boyer. sera dissoute par un acte sous seing privé en date du 14/06/1892. Par suite de la dissolution de la Société les dits immeubles se trouvant en indivisés entre le légataire universel et M Boyer le tribunal décide la licitation des immeubles c’est à dire une vente aux enchères à un des deux ayant droit. L’adjudication sera faite au bénéfice de M. Claude Mathieu Boyer le 6/8/1892 qui devient seul propriétaire.
La période Nicollet – 1887-1892
Pendant la courte période 1887-1892 précédant la nouvelle société Boyer, MM Pialoux et Boyer avaient consenti un bail à M. François Nicolet pour une durée de 18 ans à partir du 24/6/1888 pour un atelier de construction mécanique avec la faculté de faire établir à ses frais une petite roue hydraulique et d’élever toute construction sur les terrains et bâtiments loués mais les bailleurs se sont réservés le droit de conserver la dite roue ainsi que les constructions en en payant la valeur ou obliger M. Nicolet à les enlever à la fin du bail. M. Nicolet n’a jamais payé de loyer aux bailleurs. Finalement le bail est résilié le 13/6/1893.
1893 : arrivée de Marius Genty
En 1893, François Nicolet 5 vend à Marius Genty l’ensemble du matériel qui comprend l’atelier de construction mécanique qu’il exploite à l’ArbresIe dans les bâtiments de M. Boyer ainsi que les outils de menuiserie et le matériel qui compose la scierie installée dans le terrain contigu à l’atelier ci-dessus et dans un bâtiment qui est la propriété de M. Boyer.
Finalement c’est le prélude à un nouveau bail du 11 mars 1894 dans lequel M. Claude Mathieu Boyer, le propriétaire des terrains et des bâtiments, cède à M. Marius Genty,.mécanicien les principaux immeubles et le canal sur tout son parcours qui amène les eaux de la rivière la Brévenne jusque dans les bâtiments, les vannes à roue hydraulique et tous autres appareils et agrès s’y rattachant et établis tant dans les bâtiments que sur le parcours du canal et servant soit à la circulation des eaux soit au développement de la force motrice que ces eaux procurent.
Le bail est consenti pour une durée de 15 ans pour finir en 1908. M. Boyer est décédé le 23 janvier 1911 et sa veuve née Emélie Nicolas consentira un bail pour 12 ans à M. Marius Genty le 1er mai 1917 avec les mêmes droits et devoirs qui avaient été consenti par son mari. Mme Boyer est décédé le 25 janvier 1925.
Finalement, en 1920 6 , Mme Veuve Boyer vend l’ensemble du lieu à M. Genty
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5 Le 13 juin 1893 – Etude de Me Passeron 6 Auparavant le 7 mai 1920 à l’étude de Me Genevès notaire à l’Arbresle, a vendu à la Société des Glacières de l’ArbresIe ,lieu des Vemays la propriété à l’ArbresIe qu’elle occupait à savoir 1/ La vaste maison bourgeoise comprenant rez de chaussée, premier étage et grenier 2/ la grande maison en rapport dit « le Moulinage » 3/ Le jardin anglais 4/ Les vastes bâtiments ayant servi d’ateliers au tissage mécanique 5/ Le jardin à l’Est des bâtiments 6/ Un autre jardin de 4 ares 46 centiares. Avec les aisances suivantes : possibilité d’accès au barrage avec prise d’eau sur la Brévenne et droit d’appui pour tout barrage établi ou à établir dans la Brévenne avec un pré sur Eveux le long de la rivière la jouissance partant du 24 juin courant. Dans cette vente il est stipulé que la venderesse se réserve la jouissance sa vie durant à son profit exclusif de son logement composé de 2 pièces au 1er étage de la maison bourgeoise (1er alinéa) avec un carré de jardin joignant la rue de la Brévenne. Cette vente a eu lieu moyennant le prix de 100.000 francs dont l/ 4.000 francs convertis en une rente annuelle et viagère de 200 francs sur la tête de la venderesse à compter du 24/06/1920 2/ 30.000 francs payables à la venderesse à la même date 3/66.000 francs aux créanciers inscrits dont frais fixes à 7% soit 7.000 francs.1913 : Création des Glacières
La Société Anonyme des Glacières de L’Arbresle a été créée en 1913 La dite société a pour
objet la fabrication et la vente de glace dont le siège est à l’ArbresIe aux Vernays dans l’immeuble Boyer.
La durée de cette société est de 99 ans à partir de la constitution définitive. Le fonds social est de 20.000 francs divisé en 200 actions de 100 francs chacune. Les titres des actions sont nominatifs. La société est administrée par un conseil de 4 membres. L’assemblée générale se tiendra une fois par an. Les fondateurs de cette société sont M. Charles Durel confiseur à l’ArbresIe élu premier président et M.Marius Genty mécanicien à l’Arbresle.
Le 30 avril 1920 le conseil d’administration de la dite société porte le capital à 100.000 francs soit une augmentation de 80.000 francs avec émission de 800 actions de 100 francs chacune (Etude de Me Genevès). M. Marius Genty décédera le 5 octobre 1935. Son fils Louis lui succédera jusqu’à son décès en 1992.
Le père et le fils se révélèrent des hommes très entreprenant et très ingénieux. Le papier à en tête de Marius Genty à la fin du 19ème siècle témoigne de la diversité de ses fabrications
Des activités multiples
L’électricité
A l’aide d’une chute d’eau de 3m provenant du barrage sur la Brévenne et par le canal sous la rue Claude Terrasse, et d’une machine à vapeur. Marius a fabriqué et vendu de l’électricité vers 1900. Il avait un secteur de distribution électrique par permission de voirie d’une centaine de clients dont 4 boulangers qui avaient des pétrins rotatifs fabriqués par Marius Genty. Ce secteur été vendu à l’Energie Industrielle, créée par Pierre-Marie Durand (Mr Foucré étant directeur) en 1930-31
Fabrication de glace
En 1912 il a constitué une Sté anonyme pour une fabrique de glace artificielle ce qui apportait un réel progrès à l’Arbresle. Il a eu un grave accident en juillet 1930 (fracture du crâne par l’éclatement d’une meule émerl).
Il est décédé en 1935 à 75 ans. Marius Genty a une vie bien remplie et une activité utile aux Arbreslois, …et le quartier à trouvé son nom grâce à lui !
C’est Louis Genty rentré du régiment en mars 1930, qui prit la direction de l’entreprise après l’accident de son père. C’est donc Louis Genty qui a réglé la vente et le transfert du secteur électrique avec Mr Foucré et Mr Montagnon, chef du secteur.
Ces deux activités touchaient à leur fin, puisque la fabrication de glace était concurrencée par les premiers réfrigérateurs et cessa en 1942
La scierie prend de l’ampleur
Louis Genty orienta l’entreprise vers la scierie en y ajoutant le commerce de bois et l’exploitation forestière. Aux élections municipales de 1945 il fut candidat, sur la liste du maire sortant Me Passemard. Il y avait trois listes : il fut élu au second tour et fut réélu en 1947 sur la liste de Joseph Charvet.
Ce quartier garda longtemps son dynamisme. Il y eut même une « commune libre » créée en 1949, qui organisait des animations (voir Arborosa numéro 20).
Le dernier étage de la maison bourgeoise (A), entre la rivière et la rue de la Brévenne. Le toit incurvé qui lui a donné son surnom de pagode Les 28 fenêtres assurant une aération maximum indiquent que ce lieu était destiné à assurer du séchage, probablement de plantes tinctoriales
Le quartier de la Glacière a perdu de son importance, supplanté par l’extension de l’Arbresle vers le quartier des Martinets et les Grands Champs. La rue Claude Terrasse est devenue rue de liaison entre le centre ville et ces nouveaux quartiers, tout en voyant se développer l’habitat.
Le canal est oublié et n’a plus de rôle à jouer. On ne fait plus d’électricité ; on ne fabrique plus de glace ; il reste les souvenirs …
Pendant une période, avant 1914, Le grand bâtiment (B) abrita une fabrique de chapeaux