Autres personnalités Le patrimoine religieux Les quartiers et les propriétés

Le Corbusier et la Tourette

Résumé

 

Bâti à flanc de colline, au lieu de  la Tourette, à Éveux, près de l’Arbresle, le couvent Ste-Marie est l’une des œuvres maîtresses de Le Corbusier. Il est un bon exemple de cette nouvelle architecture dont il a été l’un des grands initiateurs.

""

""

« On bâtit avec le soleil, puis le paysage, enfin le matériau ». Dans le cas du béton il y a un art de l’utiliser qui en révèle les propriétés et de le traiter qui en modifie l’aspect : une ossature de béton armé supprime les murs et rend les façades « libres ». Les pilotis permettent de détacher le volume construit du sol ainsi libéré. Le toit terrasse offre un espace à la verdure et aux loisirs.

""  Une sculpture avec le béton et la lumière

  « Bâtir avec le soleil, le paysage, le matériau… », cela paraît une vérité de Lapalisse ; or combien de bâtiments, en raison des contraintes urbaines, ont été construits non pas en fonction du levant ou du couchant, mais de la voirie… Ce principe était sacré chez les constructeurs romans qui orientaient toujours les églises vers l’Est et bâtissaient les monastères en fonction du soleil. Le Corbusier refait de ce principe le fondement de son architecture au service de l’homme.

 Le Corbusier

Le Corbusier (1887-1965), architecte entre autres de la Villa Savoie, de l’Unité d’Habitation n° 1 de Marseille, de la Chapelle de Ronchamp, de la ville de Chandigarh en Inde, fait partie des figures incontournables de l’architecture du XXème siècle.

Devant le fort regain de vocations religieuses après la fin de la seconde guerre mondiale, les dominicains de Lyon confient la création d’un nouveau couvent d’étude, un lieu clos entre prière et études, à Le Corbusier. Celui-ci est alors au faîte de sa gloire pour ses maisons individuelles ou ses logements collectifs à Marseille, Firminy-St Etienne ou à Nantes. Il incarne l’architecture moderne.

Le Corbusier s’était déjà confronté à l’architecture religieuse quelques années plus tôt avec la Chapelle de Ronchamp. Par la suite, il a refusé toutes les autres propositions d’édifices religieux. "Mon métier est de loger des hommes, je ne peux pas construire des églises pour des gens que je ne loge pas".

""  Les nombreuses terrasses posent beaucoup de soucis aux rénovateurs >

S’il accepte de faire le couvent de La Tourette, c’est à cause de la complexité même du programme. Le couvent doit abriter quatre-vingts étudiants ; il doit être à la fois lieu d’habitation, lieu d’étude et lieu de prière. L’architecte peut ainsi poursuivre sa réflexion aussi bien sur l’habitat que sur l’église, et réunir dans un seul objet Ronchamp et l’Unité d’Habitation.

L’édifice a été conçu par le haut. C’est le plan traditionnel du couvent, un quadrilatère fermé autour d’une cour intérieure. Mais Le Corbusier le réinterprète à sa manière, le hausse sur pilotis, le fait éclater en ensembles distincts soulignant les articulations fonctionnelles.

""

Suspendu entre ciel et terre, donnant d’un côté sur la vallée et la forêt, de l’autre sur la cour intérieure et son paysage en béton, une des visions les plus étonnantes de l’architecture du XXème siècle.

Le couvent à peine inauguré se retrouvera à la convergence de deux grandes crises, celle de l’Église catholique et celle de la révolte étudiante. En 1970, il n’y a plus un seul étudiant à La Tourette. Quelques frères résistent dans le couvent déserté car ils croient que l’architecture du lieu incarne de façon unique la quête spirituelle de l’ordre. Le lieu changera de fonction et deviendra un centre de colloques mais il restera dominicain sauvé par l’architecture.

 La particularité du couvent

En vertu des principes architecturaux solides, Le Corbusier a pensé un couvent aux particularités exemplaires.

""

Un souci constant a été celui de la pauvreté, d’une part pour une question de moyens, mais aussi, et surtout, à cause du vœu de pauvreté prononcé par les frères dominicains. Des matériaux simples et des formes standardisées ont permis d’abaisser les coûts de la construction.

L’absence de décoration est voulue, car lorsqu’une forme correspond à l’usage que l’on veut en faire, et qu’elle est adaptée à sa fonction, elle est belle par elle-même et n’a besoin de rien de plus.

""

– Le couvent est en béton brut de décoffrage, car pour Le Corbusier c’est un matériau qui n’est beau que lorsqu’il s’avoue et qu’il fait jouer la lumière sur sa surface. Pour faire simple, il faut garder en mémoire que ce qui est en béton est porteur et que ce qui est en crépi enduit pourrait être modifié ou abattu sans toucher à la cohérence de l’ensemble, ni mettre en péril la construction.

""

Ce lieu ne se comprend et ne s’apprécie pas en une courte visite ; La Tourette est un lieu de vie pour des hommes qui par leur engagement n’ont pas à être distraits de la question fondamentale de leur présence même dans un couvent. Le béton brut apparaît être le matériau le plus adapté au désir de pauvreté des frères prêcheurs.

Le même principe implique que les fils électriques et les tuyaux ne soient pas masqués : les tuyaux bleus conduisent l’eau froide, les rouges, l’eau chaude et les fils noirs correspondent aux fils électriques. Tout est lisible et apparent, à l’image de la devise de l’ordre dominicain, qui est "veritas".

""

– Les ouvertures sont de plusieurs types : panneaux Mondrian, aérateurs, pans ondulatoires, bandeaux… Elles ont essentiellement trois fonctions : éclairer, protéger, et aérer.

– Le Corbusier emploie des couleurs primaires (rouge, jaune et bleu), ainsi que le vert, en référence à Kandinsky.

– Il applique une proportion, le nombre d’or, à une taille moyenne d’1m83 et obtient ainsi un module de 2m26 sur 1m83 qui est la mesure de la vie individuelle. Les cellules ont 2m26 sous plafond, 1m83 de largeur et 5m92 de long, puis ces dimensions sont déclinées en fonction des différents lieux de vie et du nombre de frères les utilisant ce qui permet de passer de la cellule (individuelle) à l’église (communautaire) par un parcours rythmé qui ne donne jamais l’impression d’être écrasé ou perdu.

 Le Couvent en chiffres

Façade Est : hauteur : 21,6 m, largeur : 66 m, profondeur : 8,8 m

Façade Ouest : hauteur : 23,6m, largeur : 66 m, profondeur : 8,8 m

Façade Nord : hauteur côté Ouest : 24,4 m, hauteur côté Est : 15,6 m, largeur : 42 m,

Profondeur de l’église sans sacristie ni crypte : 12 m

Façade Sud : hauteur côté Ouest : 21,2 m, hauteur côté Est : 13,2 m, largeur : 46,2 m, profondeur : 8,8 m.

 La restauration

Le couvent de la Tourette, construit entre 1954 et 1961 est la dernière grande œuvre de Le Corbusier en France. C’est une œuvre de maturité dont la force, la richesse et la complexité sont telles qu’en 1986 les architectes français l’ont choisie comme la seconde œuvre contemporaine la plus importante, après le Centre Pompidou de Piano et Rogers.

Le béton d’origine devait être de piètre qualité et depuis quelques années se dégrade progressivement.

Il a donc fallu prendre la décision de le restaurer, ce qui fut fait en plusieurs phases entre 2011 et 2013.

Le Corbusier lors de l’inauguration en 1960

""

Le frère Jean-Pierre Lintanf, l’un des « anciens » du couvent qu’il a rejoint en 2006, se souvient de sa première arrivée à la Tourette : « En 1960, j’arrive à Éveux dans le tohu-bohu de l’inauguration du couvent et je découvre l’étrange vaisseau de béton où une centaine de frères dominicains entourent le Cardinal Gerlier, le Père Browne, maître de l’Ordre, et Le Corbusier. Cela a été la dernière visite de celui-ci à La Tourette, avant la nuit de son cercueil dans l’église du couvent. J’étais à ses côtés lorsqu’il a emprunté l’un de ces escaliers sur la pente desquels on a écrit tant et tant de commentaires et d’interprétations.

La sienne fut plus… laconique : « M… , c’est un peu raide ! ».

À la sortie de la messe de l’inauguration, il était là, ému, avec Xenakis*  à ses côtés. « J’aurais tant aimé que ma mère soit là, elle aurait été heureuse. »

Un journaliste lyonnais s’approche : « Il paraît, Monsieur Le Corbusier, que vous êtes athée ? » La réponse, immédiate : « Non, Monsieur, je suis disponible. »

Le couvent de la Tourette au patrimoine mondial de l’UNESCO ?

Le mercredi 30 janvier 2008, des représentants du centre culturel de la Tourette, se sont rendus au Ministère de la Culture afin de signer le dossier de candidature pour le classement de l’œuvre de Le Corbusier au patrimoine mondial de l’UNESCO en présence des 22 autres sites retenus.

Les ambassadeurs des six pays, la Ministre de la culture Mme Christine Albanel, ont répété leur fierté de participer à un projet d’une telle ampleur et d’une telle symbolique. Il est donc probable de voir l’œuvre de Le Corbusier sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, retenue comme lieu de l’architecture sacrée.

À l’heure où le centre culturel de La Tourette ne cesse de se développer, il vous invite à venir découvrir ou redécouvrir ce lieu atypique lors d’une visite, un séjour, un séminaire culturel, une exposition d’art contemporain ou simplement un déjeuner…

""

*  Yannis Xenakis né le 29 mai 1922 et mort le 4 février 2001 à Paris, était compositeur et architecte. Il fut le principal collaborateur de Le Corbusier dans la construction du couvent de la Tourette.

 

Enable Notifications OK No thanks