La petite Histoire

Les chevaliers de l’Arbresle

Résumé

Pendant fort longtemps, il y eut à l’Arbresle des « chevaliers » et une organisation que se nommait la « Chevalerie », ainsi que l’atteste la photo de la médaille ci-dessous, datée de 1894. Une première constatation s’impose : cette « chevalerie » de 1894 avait probablement une activité sportive puisque des coureurs cyclistes figurent au verso de cette médaille. Nous sommes donc loin de la chevalerie du Moyen-âge !

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Fait d’armes ou légende ?

 Il faut donc fouiller l’histoire de l’Arbresle pour tenter de trouver une origine à cette chevalerie des temps modernes.

Voici ce que nous raconte, en 1901, un monsieur J. Pierrefeu, instituteur à l’Arbresle :

« Monsieur Busseret affirme avoir vu le 27 mars 1886 dans une maison de la rue Trion à Lyon-St Just, une antique peinture représentant deux rues de l’Arbresle en 1429, son château et ses murs d’enceinte presque entièrement entourés d’eau.

Au-dessous de ce tableau voici ce qu’il a lu et copié en vieux français :

« Un fragment de l’armée anglaise, après l’investissement d’Orléans, remontait la Loire en se dirigeant sur Lyon par la vallée de la Tardine. Le seigneur Tardin de l’Arbresle et le seigneur Madinier d’Imblot, résolurent de se défendre ; ils se réunirent tous à l’Arbresle. Ils soutinrent un siège de quatorze jours ; ils se défendirent mais périrent presque tous ; le seigneur Tardin périt, ainsi que toute sa famille. Le 21 juin, les Anglais voyant venir une armée de Lyon, levèrent le siège. Alors on fit un feu de joie sur les hauteurs sud-est de la place, comme signe de délivrance. Le roi approuvant leur héroïque défense, leur donne à eux et à leurs descendants, le titre de chevaliers ».

Que penser de cette page d’histoire et surtout de sa conclusion ?

 – Historiquement, elle est crédible : le 8 mai de cette année 1429, Jeanne d’Arc oblige les Anglais à lever le siège d’Orléans mais ils sont présents encore un peu partout dans le royaume, y compris dans notre région, puisque à partir de 1415, tous les châteaux-forts avaient subit des réparations et avaient été renforcés.

– Le chanoine Picard cite exactement la même histoire avec les mêmes mots, donc, un même texte original ; mais il précise : « Le souvenir de ce fait est resté si précis dans la mémoire de nos compatriotes que, chaque année, les jeunes gens de la localité se parent du titre de « Chevalerie de l’Arbresle » à l’occasion de la fête patronale.

 L’instituteur n’est pas d’accord

 « Il est inutile de dire que le document ci-dessus est purement légendaire, malgré l’inscription sur le drapeau de la Chevalerie de l’Arbresle. L’archiviste Guigue de Lyon m’a affirmé n’avoir jamais rien vu de cette nature sur les nombreux papiers concernant notre région… Bistraque racontait aussi une histoire de cette force (nature) dont l’origine était dans les archives de Lyon que, certainement il n’avait jamais visitées. »

Et Pierrefeu de nous donner sa version : « le titre de chevaliers que la tradition depuis longtemps donnait aux jeunes gens de l’Arbresle ne pouvait et ne devait leur venir que parce qu’ils habitaient la place d’armes de l’abbaye, résidence des officiers-chevaliers de ce riche monastère bénédictin. »

Voilà une version, elle aussi crédible mais ni plus ni moins que la précédente.

 Une chevalerie discutable

 Si le siège de l’Arbresle à bien existé, même si devenu légende, il s’est quelque peu déformé, une chose reste surprenante : comment un roi de France se serait-il permis de nommer chevaliers tous les habitants d’une ville et surtout, tous leurs descendants ? C’est sans doute ce qui paraît le plus invraisemblable dans cette histoire.

 La chevalerie au Moyen Age

 C’était quelque chose de très sérieux, une affaire entre deux hommes. L’un, militaire, le chevalier (guerrier à cheval), qui se met au service d’un seigneur ou d’un souverain pour lui porter assistance en toutes circonstances. L’autre, le seigneur ou souverain, qui, en échange, apporte sa protection et des moyens de subsistance.

Au cœur du système féodal, les chevaliers, soldats-vassaux, qui, parce qu’ils pratiquent le métier des armes, signe de leur supériorité, jouissent d’un prestige de plus en plus grand. Ils s’érigent en caste, en confrérie dotée ainsi d’une fusion entre la notion de noblesse et celle de chevalerie.

Il faut se souvenir que, pendant des siècles, les chevaliers, d’où qu’ils viennent constituent l’armée occidentale partie en croisades pour conquérir les lieux saints. Et pas seulement les lieux saints. Le chanoine Picard nous le rappelle : «… Le Lyonnais aura désormais à se défendre, pendant de longues années, contre les Anglais, tout en guerroyant contre les Turcs. Les œuvres religieuses et charitables que l’abbaye de Savigny avait fondées et qu’elle assistait n’empêchèrent jamais les chevaliers de l’Arbresle et les hommes d’armes de l’abbaye de faire bonne figure dans leurs chevauchées, proches ou lointaines, contre les ennemis de la foi et du royaume. De 1216 à 1390, nombreux furent les seigneurs, chevaliers et vassaux de la province lyonnaise qui tombèrent face à l’ennemi et ne revirent pas leur petite patrie ».

 Le rituel chevaleresque se fixe au XIIe siècle. Il comprend une partie militaire (l’adoubement) et une partie religieuse (bénédiction des armes, serments).

Partie militaire : elle est significative de la cooptation et de l’initiation à travers une reconnaissance des aptitudes.

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Enluminure montrant une cérémonie d’adoubements de chevaliers

 Partie religieuse : elle traduit la christianisation de l’institution par une église désireuse de conforter sa mainmise sur la société et ses institutions de paix.

Cela concourt à donner à l’ordre chevaleresque les bases de sa fonction éthique.

Au fil des ans, la chevalerie devient autre chose qu’un groupe professionnel : elle s’érige en communauté sociale et éthique, elle se moralise. Les chansons de geste font alors l’apologie d’une chevalerie où la prouesse est une vertu morale avant d’être une démonstration de force et d’adresse.

En admettant que les défenseurs de l’Arbresle en 1429 se sont, à n’en pas douter, comportés en vrais chevaliers – si le siège a bien eu lieu -, comment attribuer ce titre et les qualités inhérentes aux Arbreslois des générations qui suivirent et qui, à priori, n’avaient ni les qualités physiques ni les qualités morales des chevaliers  ?

 Et la Chevalerie de l’Arbresle ?

 On y arrive… Nos preux chevaliers – les vrais – n’étaient pas toujours au combat. Ils se mesuraient et faisaient la démonstration de leurs talents au cours de grandes fêtes. Picard nous raconte : « Il y avait aussi, surtout aux XIIe et XIIIe siècle, de beaux tournois, soit à Savigny, soit à Chazay, encouragés et présidés par les Abbés. Ce jour-là, on voyait l’Abbé de Savigny, monté sur sa mule blanche, escorté de quelques seigneurs du voisinage, se diriger vers l’Arbresle où l’attendaient les chevaliers arbrelois et le capitaine châtelain, sans parler des nobles dames et demoiselles de la région. Tous encourageaient de leur présence et de leurs applaudissements, les habiles passes des preux combattants. Le spectacle se terminait par la distribution de prix aux vainqueurs. »

Les fêtes étaient nombreuses au Moyen-âge, surtout à la suite des moissons et des vendanges.

On y voyait des saltimbanques, des funambules, des ménestrels ou troubadours qui célébraient les plus hauts faits des chevaliers et de leurs dames. Il y avait aussi des feux d’artifice, des représentations théâtrales.

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Un tournoi au XVe siècle

 De fait, les chevaliers devinrent, en temps de paix, des hommes de spectacle ! Et l’on peut émettre l’hypothèse que nos chevaliers arbreslois héréditaires, à défaut de combattre, ont hérité de cette compétence pour le moins originale des chevaliers : animer des fêtes ; ainsi serait née la « Chevalerie de l’Arbresle », sorte de Comité des fêtes ancestral.

Car cette chevalerie-là a bien existé. Nous avons parlé de la médaille en photo. Picard, encore lui, nous conte aussi un petit événement évocateur :

« Les fils Perret, dont le père était sénateur, assuraient le transport de la pyrite depuis les mines. Un jour de St Jean en 1865, l’un d’eux se présenta â la fête de l’Arbresle et prétendit danser en costume de charretier. Le chef de la Chevalerie lui fit observer que les règlements prescrivaient la redingote et le chapeau haut de forme, usage qu’observaient tous les danseurs, même ceux de très modeste condition, et l’obligea, sous peine d’expulsion, à modifier sa tenue. »

Ainsi, nous savons qu’au XIXe siècle, la Chevalerie de l’Arbresle existait bien et avait un rôle d’animation de notre ville. Peut être dans l’avenir, et avec l’aide de nos lecteurs, trouverons-nous d’autres éléments qui permettront d’en savoir plus sur ces fameux chevaliers de l’Arbresle.

 

Bernard Isnard

 

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