Les artistes

Claude Séraucourt, graveur et marchand d’estampes

Résumé

Il faut faire un sérieux effort d’imagination pour comprendre l’importance du métier de graveur il y a quelques siècles. Le règne de l’image numérisée, reproduite à l’infini transportée en quelques fractions de seconde nous fait oublier qu’avant la photographie, seule la peinture ou le dessin permettaient de « faire » l’image et que l’imprimerie ne pouvait la reproduire qu’à partir de la gravure. C’est dire l’importance d’une profession comme celle de Claude Séraucourt, graveur, éditeur et marchand d’estampes.

Les Séraucourt : une vieille famille arbresloise

« Claude, fils de Claude Séraucourt, maître chirurgien de l’Arbresle et de Marie-Émeraude Dupasquier, ses père et mère, a été baptisé ce vingt cinquième novembre mil six cent septante sept. Claude Séraucourt aussi maître chirurgien, a été son parrain et demoiselle Claudine Baudrand, femme de feu Claude Dupasquier a été sa marraine, fait et signé ce jourd’hui »

Claude Séraucourt, ainsi baptisé à l’Arbresle le 25 novembre 1677, est issu d’une famille implantée dans cette ville depuis plusieurs décennies. Il est probablement l’un des membres de sa famille à y être demeuré le moins, puisque sa carrière s’est déroulée essentiellement à Lyon jusqu’à sa mort survenue en 1756. De ce fait, les historiens d’art sont passés rapidement sur ses origines familiales. Le seul historien à s’être intéressé à Séraucourt n’est autre que Marius Audin dans la Revue d’Histoire de Lyon en 1914.

Dans son étude, il s’attache surtout à évoquer ses relations comme graveur avec le Consulat de Lyon. De manière indiscutable, le nom de Claude Séraucourt a été et reste encore attaché à la gravure du plan géométral de Lyon en 1735 qui a occulté les autres facettes de son talent.

 L’apprentissage du métier

Les sources font malheureusement défaut sur les années de jeunesse de l’artiste et il faut attendre 1703 pour voir apparaître la première mention de Claude Séraucourt dans un acte. Il s’agit de sa mise en apprentissage chez le graveur et marchand de tailles-douces, Jean François Cars. Il est certain que la première formation de C. Séraucourt dans les arts du dessin et de la gravure a dû s’effectuer antérieurement, peut-être même à l’Arbresle.

M. Audin s’interroge dans son étude de 1914 sur le maître de Séraucourt ; nous avons retrouvé son contrat d’apprentissage à la date du 5 octobre 1703 parmi les actes du notaire Rousset. Le contrat est négocié à Lyon avec Jean Louis Dupasquier, oncle de Séraucourt et marchand tapissier de la ville. Cet apprentissage, destiné à parachever la formation de dessinateur et de graveur du jeune homme, se déroulera sur trois années, jusqu’en 1706, pendant lesquelles Claude Séraucourt sera logé, nourri et blanchi.

Il était, à cette époque, âgé d’environ 26 ans et avait certainement déjà reçu une formation de graveur faisant de lui un "apprenti qualifié", ce qui laissait peut-être à Jean François Cars une plus grande liberté pour ses activités parisiennes. Ce dernier, fils de François 1er  Cars, décide, après 1711 à la mort de son père, de tenter une carrière à Paris ; c’est vraisemblablement après 1710 que Jean François Cars s’installe définitivement à Paris.

Claude Séraucourt noua par ailleurs une amitié durable avec Joseph Cars, frère cadet de Jean François, devenu imprimeur en taille-douce à Lyon ; on peut ainsi reconnaître sa signature le 11 février 1711 sur l’acte de baptême de Claude Cars, fils de Joseph Cars, dont il est le parrain, puis le 25 janvier 1717 alors qu’il est témoin du second mariage de Joseph Cars et enfin le 13 avril 1724 à l’enterrement de ce dernier.

 Le petit monde des imagiers

À cette époque à Lyon, le monde de l’estampe représente un petit nombre de marchands imagiers qui associent avec plus ou moins de bonheur les fonctions de graveur, éditeur et imprimeur en taille douce. Cette communauté évoluait dans un microcosme social et professionnel rassemblant libraires, imprimeurs, graveurs, marchands d’estampes, enlumineurs et parfois artistes peintres, qui nouaient entre eux des relations d’affaires et des liens familiaux.

Le 14 août 1713, Claude Séraucourt épouse Françoise Presle, veuve d’Hilaire Tissier marchand ; Séraucourt est qualifié de bourgeois de Lyon et maître graveur demeurant rue Mercière. Un autre membre de la famille Cars signe à son acte de mariage : Suzanne Cars, née à Lyon le 2 août 1696, fille de Jean Cars maître ouvrier en draps de soie. Le 23 novembre 1742, C. Séraucourt épouse en seconde noce Françoise Thomas ; le témoin de ce mariage est le graveur lyonnais Claude Vernier, dont nous reparlerons et qui était le filleul de sa première femme. Cette union comme la précédente ne lui donnera pas d’enfants.

Dès 1730 les actes le qualifient de graveur et marchand d’estampes établi rue de Flandres, près la Douane, paroisse St Paul. Jusqu’à sa mort, il est établi à la même adresse. Il assiste le 7 avril 1732 au mariage de son frère Jean Louis Séraucourt avec Marie Matelin veuve Rivière. Ce dernier semble avoir résidé à l’Arbresle mais en 1756, devant notaire à Lyon, il signe le 26 février un bail à loyer avec les religieuses de St Marie des Chaines.

En 1739, le graveur est qualifié d’héritier universel sur le testament de Micheline Guillot, veuve de Gabriel Desgranges, marchand en détail à Lyon et il sera son exécuteur testamentaire. Elle le choisit "en considération des agréables services qu’il lui a rendus", services dont on ne connaît pas la nature… Parmi ses héritiers figure encore Claude Vernier, cité plus haut ; l’inventaire après décès de Micheline Guillot, veuve de Gabriel Desgranges, bourgeois et marchand de Lyon a lieu le 9 avril 1739 et durant deux ans vont s’effectuer les partages de cet héritage assez important. En 1741, lors d’un acte passé entre un héritier de cette dame et Claude Séraucourt, celui-ci est qualifié de géomètre et maître graveur à Lyon.

Séraucourt teste à Lyon le 3 mars 1751 ; le graveur Claude Vernier est nommé son légataire universel. Séraucourt lui lègue son "commerce d’imagier", les effets de son magasin, cuivres gravés, estampes, presse et ustensiles de son art, tant du magasin que de l’imprimerie".

Son matériel d’impression, bien que succinctement décrit, permet de dire que parmi les estampes vendues par C. Séraucourt, une grande partie provenait sans doute de son atelier : gravées de sa main, ou probablement par un de ses apprentis  – on ne connaît pas les membres de son atelier – peut-être sa sœur Madeleine Séraucourt ou Claude Vernier,  elles étaient ensuite tirées sur ses presses ; pour celles-ci Séraucourt se fit éditeur, c’est à dire qu’il était propriétaire des planches dont il vendait les épreuves mais aussi il proposait les pièces d’autres graveurs.

Séraucourt a noué des relations avec ce monde des éditeurs d’estampes, graveurs et imprimeurs de Lyon ; on a évoqué ses contacts avec la famille Cars qui se perpétuent par la suite à Paris ; il avait certainement tissé des liens avec le graveur et éditeur lyonnais Nicolas Simon Duflos, fils de Claude Duflos, dont il est le parrain de l’une des filles, Etiennette, baptisée le 10 août 1736 ; la marraine étant Antoinette Leblond, femme de Jean Louis Daudet et membre d’une illustre famille de graveurs et éditeurs qu’il ne pouvait ignorer. On peut également citer ses échanges professionnels avec Robert Menge Pariset dont il était l’un des créanciers à l’issue de son dépôt de bilan le 8 mai 1760.

Claude Séraucourt décède à Lyon, paroisse St Paul le 15 février 1756.

 Le professionnel

En 1731, la Fabrique Lyonnaise de Soierie le sollicite, par le biais du maître imprimeur en tailles-douces Jean Delaissement, pour fournir des modèles d’ornementation d’étoffes de soie et du papier réglé, nécessaire à la mise en carte.

Bien qu’il s’en défende, sa situation matérielle semble correcte : il entretient à son service une domestique jusqu’à la fin de sa vie et il fait l’acquisition en 1749 d’une vigne située en la paroisse de Francheville, territoire de Brussin, le 28 mai 1749 puis en 1752 d’une terre, pré, bois et vigne, situés au territoire des Flaches, paroisse de Francheville qu’il revend en 1754.

Claude Séraucourt a su mener sa carrière en s’appuyant sur les commanditaires que la ville a su lui procurer. Ainsi dans une ville de province comme Lyon, les institutions municipales telles que le Consulat évoluent dans un faste de plus en plus manifeste, offrant portraits, plans et cartes à leurs élus et à leurs visiteurs de marque. Le commerce de la soierie, accession à la richesse pour les marchands fabricants, draine une foule d’intermédiaires indispensables dont Séraucourt a su également profiter. Les commandes d’images de piété que distribuent les communautés religieuses sont aussi une source de travail constante pour le graveur.

Dans sa personnalité d’artiste, Séraucourt est doté d’un souci d’exactitude aigu ; il joue sur les oppositions de lumière et d’ombre dans la plupart de ses gravures. Il fut l’interprète fidèle de Charles Grandon dont l’œuvre est caractérisée par cette même recherche de ressemblance et de véracité. Enfin avec le plan géométral de Lyon, Claude Séraucourt devient innovant, montrant ses qualités de géographe, de géomètre, mais aussi en réalisant une estampe tout simplement décorative et belle.

 Le Plan Géométral de la Ville de Lyon

Quels sont les ouvrages de gravure réalisés par Claude Séraucourt et quels furent ses principaux commanditaires ? En premier lieu, le Consulat de Lyon et les personnalités de la ville dont il reproduisit par la gravure les portraits officiels, habituellement exécutés par le peintre de la ville de Lyon.

Nous nous limiterons à évoquer l’une de ses œuvres majeures, qui lui demanda quatre années de travail.

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L’agrandissement d’un cartouche du Plan permet de mieux apprécier la qualité du travail

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Le document de 1735 conçu par le cartographe Claude Séraucourt est le premier Plan géométral de la ville de Lyon. Contemporain du plan de Paris dit de Turgot, il n’est connu qu’en de rares exemplaires, tous conservés en dehors de Lyon. Séraucourt, graveur et marchand d’estampes, demanda la vérification du plan à un cartographe professionnel, Grégoire, que l’on rencontre aussi à Paris. Dès 1740, l’auteur fait paraître une seconde édition où l’on peut distinguer comme principale différence la suppression de la rue Serpilière qui prolongeait jusqu’au Rhône la rue Confort, le long de l’Hôtel-Dieu. Vers 1737, les recteurs de l’Hôpital général obtinrent du Consulat de réunir les deux parties de leur tènement séparées par cette rue, à la condition de créer à proximité un point d’eau pour les incendies. Le plan de 1735, sa réédition et l’édition anglaise de 1746 sont entourés de vignettes représentant les principaux monuments de la ville et cela à l’imitation de la production cartographique parisienne. 

 La famille Séraucourt

Si Claude Séraucourt est resté dans l’histoire et si l’Arbresle a donné son nom à une rue de la ville (rue qui a la particularité d’être en boucle, le début et la fin étant au même endroit, sur la rue Maître Philippe), il nous faut aussi nous intéresser à sa famille qui marqua dans l’histoire de la ville.

À propos de son père, chirurgien, il convient de rappeler que le chirurgien n’était pas à cette époque lointaine, comme de nos jours, un personnage honorable, ayant dans la hiérarchie médicale une place capitale. Les médecins observaient alors une sorte de règle canonique leur interdisant de verser le sang ou de se livrer à des opérations manuelles sur le corps humain, à tel point que les perruquiers s’emparèrent de cette fonction et l’exercèrent sous la direction des médecins, jusqu’à ce que médecine et chirurgie soient réunies dans l’enseignement universitaire.

Claude Séraucourt est l’aîné d’une famille qui compte un autre garçon : Jean Louis Séraucourt, né en 1691 et qui exercera la profession de maître chirurgien à l’Arbresle comme son père, jusqu’à son décès en 1770. Ce Jean-Louis Séraucourt semble avoir joui d’une certaine notoriété dans la ville puisqu’à la lecture de l’état civil de la paroisse de l’Arbresle, sa signature comme témoin apparaît très fréquemment dans les actes de la vie de cette cité.

Claude Séraucourt a eu trois sœurs : Madeleine, que son père fait engager comme "apprentisse" pour trois ans chez le graveur et marchand imagier François de Poilly le 22 octobre 1700 ; il ne semble pas que cette sœur se soit fait un nom dans la gravure ; elle ne se marie pas et habite comme son frère Claude, rue de Flandres, peut-être même à son domicile ; Jeanne-Françoise, née en 1690 et dont on ne sait rien, et Marie Anne, épouse du Sieur Charassin à l’Arbresle, est la seule des sœurs de l’artiste à être citée comme héritière dans son testament daté du 3 mars 1751.

Sa nièce, Marie Françoise Séraucourt, fille de son frère Jean-Louis, quant à elle, se marie avec un dénommé Després, futur notaire de Chazay d’Azergues, le 18 novembre 1755.

 Les Séraucourt et les Demasso

On ne peut évoquer Claude Séraucourt sans parler de François Demasso et des liens entre les deux familles.

La famille de François Demasso est établie à l’Arbresle depuis le XVIe siècle. En 1580, Antoine de Masso, orfèvre, né à l’Arbresle, fait profession de religion catholique. Son frère, notaire royal à l’Arbresle, est le père de François Demasso et d’Antoine Demasso, cavalier de la Compagnie de Monseigneur.

François Demasso quitte assez jeune l’Arbresle pour apprendre un métier à Lyon et entre en apprentissage entre 1640 et 1655 chez Claude Savari, graveur et marchand d’images. En effet, sa déclaration de Bourgeoisie déposée le 26 janvier 1645 atteste qu’il est domicilié à Lyon depuis 5 ans (donc vers 1640) dans la maison de Claude Savari.

Ce dernier meurt peu avant 1655. François Demasso, «marchand libraire et imagier », a entre-temps épousé la fille de son maître, Catherine Savari et réside à l’enseigne de La Toison d’Or. Il semble qu’il ait hérité ou acheté le fonds et l’enseigne de Claude Savari aux deux fils de ce dernier.

F. Demasso a imprimé plusieurs illustrations pour des livres de piété, dont une Vierge à l’Enfant, signée: « P. de Loisy fecit » et « F. Demasso excud » ; les R.P. Jésuites de Malte lui commandent le 30 mars 1663 des images en taille-douce. C’est en 1659 que F. Demasso s’avise de faire imprimer la « Description au naturel de la ville de Lyon et paisages alentour d’icelle », levée et dessinée par Simon Maupin.

Le lien entre les familles Demasso et Séraucourt se renforce par le biais de Guillaume Demasso, marchand libraire à Lyon.

Bien que résidant à Lyon, ce dernier entretient des liens privilégiés avec sa ville natale puisqu’il y retourne régulièrement comme on peut le constater par sa signature présente dans plusieurs actes paroissiaux. Ainsi en 1665, il est le parrain d’Anne, fille de Claude Poulot, vigneron à l’Arbresle ; en 1668, son fils Claude est baptisé à l’Arbresle le 28 mars et le 23 avril 1671, il est le parrain de Guillaume Villecourt lors de son baptême.

Un acte de vente du 18 mars 1676 réunit sur le papier les deux familles Demasso et Séraucourt qui devaient certainement se connaître. Ainsi, Claude Séraucourt, le père du graveur, cède à Guillaume Demasso, bourgeois de Lyon, un terrain à l’Arbresle, de la contenue de trois bicherées, terres et vignes.

Ainsi pourquoi ne pas supposer que Claude Séraucourt ait pu découvrir le métier de l’imprimerie puis de la gravure par l’intermédiaire de Guillaume Demasso, mort vers 1706 ?

 D’après Sylvie de Vesvrotte, Ingénieur d’études au C.N.R.S.

 

Sources :

– Archives départementales du Rhône
– Archives municipales de Lyon
– Registres paroissiaux de L’Arbresle
– BNF – Conservatoire numérique des Arts et métiers
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