Les artistes

Claude Terrasse : la naissance d’une vocation

Résumé

Nous sommes en 1867, sous le second Empire. Beaucoup de choses bougent en France. L’exposition universelle ouvre ses portes à Paris et regroupe 50 000 exposants. Une loi organise l’enseignement primaire féminin et ouvre la voie vers la gratuité de l’enseignement. Une autre oblige les communes de plus de 800 habitants à entretenir une école publique. Le Certificat d’études primaires est institué.

L’ArbresIe est un chef-lieu de canton en plein essor, grâce à son industrie, essentiellement les fabriques de velours et de soieries, qui provoquent l’afflux d’une main-d’œuvre extérieure. L’arrivée du chemin de fer va bouleverser les habitudes.

Au début du Second Empire, Philiberte Damiron est domestique à Lissieu dans le Rhône. Elle rencontre Claude-Marie Terrasse, domestique comme elle. En avril 1853, il a 22 ans et elle 20 lorsqu’ils décident de se marier et de s’installer à l’ArbresIe.

 

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Comme son père, Claude-Marie devient ouvrier en soie. Commencent alors pour lui ces longues journées de quinze heures de travail, rythmées par le seul repos dominical. L’année de leur mariage, ils ont un premier enfant, Antoine, qui meurt  probablement en bas âge. Trois ans plus tard naît leur fille, Antoinette, et dix ans après, l’Officier d’Etat Civil établit ce document :

« L’an mil huit cent soixante-sept, le vingt-sept janvier, à six heures du soir, par devant nous Peillon François, Maire, Officier de l’état civil de L’ArbresIe (Rhône) a comparu sieur Claude-Marie Terrasse, âgé de trente-cinq ans, employé de fabrique, demeurant en cette ville, rue de Bordeaux, lequel a présenté un enfant du sexe masculin, né ce matin à six heures dans son dit domicile, de lui déclarant et de Philiberte Damiron son épouse, âgée de trente-deux ans, dévideuse en soie, auquel enfant on a donné les prénoms de Claude Antoine ». Claude Terrasse, celui qui a laissé son nom dans l’histoire est né.

Apparemment inchangée depuis un siècle et demi, la maison natale de Claude Terrasse est une vaste construction sur quatre niveaux, dans une  rue du centre-ville. Elle fait face à un parc public verdoyant qui conduit par une pente légère à l’actuelle mairie. La famille Terrasse  habite un des logements. Habituellement, à la fin des années trente, ceux-ci comportent deux pièces, dont l’une sert d’atelier et de cuisine.

Claude-Marie Terrasse, son père connaît une véritable ascension sociale. Domestique au début de l’année 1853, il devient ensuite ouvrier en soie, puis lisseur et contremaître à 40 ans. C’est probablement à partir de ce moment qu’il devient directeur du comptoir de l’ArbresIe des soieries Mancardi. À cette époque, la main-d’œuvre n’est pas rassemblée dans une usine. Le comptoir distribue la soie aux tisseurs dispersés dans les fermes et les villages voisins. C’est le travail des « rondiers ». Pendant les vacances, le jeune Claude arpente avec son père les routes pittoresques des vallées lors de ses «rondes». Il participe également aux fêtes traditionnelles de la ville, comme porteur de torche pour les feux de la Saint-Jean – la fête des Brandons – ou comme musicien. Les parents de Claude Terrasse décident de lui donner une solide instruction dans un collège et un pensionnat à Neuville-sur-Saône, à une vingtaine de kilomètres de l’ArbresIe. Ce choix est lié en partie à leur vie de couple. Claude-Marie et Philiberte ne s’entendent plus et se séparent en 1873 ou 1874.

La musique entre en scène

Terrasse entre au pensionnat à sept ans. Il y apprend ses premières notes de musique et fait rapidement partie de la fanfare et de la chorale qui se produisent lors des grandes fêtes. Une ancienne photo, passée et jaunie, montre le jeune garçon en uniforme sombre à boutons clairs, collet et bande du pantalon clairs également, avec une large ceinture de cuir à boucle carrée. Il regarde fixement l’objectif mais le temps a gommé les détails du visage. Sa main gauche est posée à côté d’un chapeau plat. Le long du corps, la main  droite tient un cornet à pistons. Il devient trésorier de la fanfare de l’ArbresIe, qui répète souvent dans le parc public, face à la maison familiale. À l’écoute de ce répertoire dont il retient et chante toutes les parties, la mémoire et les dispositions musicales du futur compositeur s’affirment alors.

Claude avait une prodigieuse mémoire musicale. Il aimait écouter l’orphéon de la ville et répéter les airs exécutés par cette formation. À 9 ans, il jouait correctement du cornet à pistons.

 L’emploi du temps ordinaire du collège montre un régime d’internat difficile, avec cinq heures trente de cours et quatre heures vingt d’étude tous les jours, sans oublier la messe de la mi-journée. Le dimanche, le programme scolaire est moindre mais les devoirs religieux sont plus importants. L’après-midi est réservé à la promenade.

Il ne revint plus dans sa ville natale qu’au moment des vacances. Il réapparaissait alors, immense, avec sa tignasse rousse, bondissait chez lui, saisissait son instrument, rebondissait sur le trottoir où il jouait et chantait, faisant partager aux bons "Breslois" assis sur leurs bancs toute sa joie et sa gaieté.

Cependant, le père de Claude Terrasse ne veut pas entendre parler de carrière musicale pour son fils : « Fais un canut ! », lui répète-t-il. Un jour, il fait part à son patron des soucis que lui cause son fils, espérant trouver un soutien. Mais Adolphe Mancardi le désapprouve et lui conseille de ne pas entraver la vocation du jeune garçon. Mieux, il devient le premier soutien de sa carrière musicale et offre de l’héberger chez lui pour qu’il puisse suivre les cours du conservatoire de Lyon.

Son père décide alors de recueillir l’avis d’Alexandre Luigini, chef de l’orchestre du Grand-Théâtre et professeur d’harmonie au conservatoire. Claude entre dans un magnifique salon et pose son cornet sur une table luxueuse. Mais, quand le maître se saisit de son instrument et le met aux pieds du piano, il perd tout à coup toute assurance et joue mal. Heureusement, Luigini n’en reste pas là. Il lui demande de lire à vue des partitions. Terrasse retrouve son aplomb et déchiffre très bien. Lorsqu’il repart avec son père, il est réconforté. Le chef lui a reconnu de solides qualités musicales et lui a recommandé l’étude du piano, en plus de celle du cornet.

L’entrée au conservatoire

A la rentrée de 1880, le musicien s’inscrit au conservatoire de Lyon. Il habite chez Adolphe Mancardi et part du calme quai Saint-Clair prendre ses leçons de musique. Ses qualités de cornettiste sont réelles. Dès la fin de la première année, il obtient un deuxième prix de cornet ex œquo et un premier deuxième prix de solfège, qu’il transforme en premier prix – le seul de tout le conservatoire – l’année suivante.

En 1881, il entre dans la classe de Luigini et commence l’étude de l’harmonie, prélude à celle de la composition. Le chef a vraisemblablement permis au jeune musicien de subvenir au moins en partie à ses besoins dès l’âge de treize ans en lui faisant jouer du cornet dans l’orchestre des Concerts du conservatoire, des Concerts Bellecour et dans l’orchestre du Grand-Théâtre. Lorsque Terrasse reviendra à Lyon diriger les répétitions de son Pantagruel créé au Grand-Théâtre, un de ses amis assure que « retrouvant à l’orchestre la place du pupitre que bien des armées auparavant occupait un petit cornet à pistons qui lui ressemblait plus qu’un frère, il peut mesurer la brillante étape qu’il a parcourue.  

La rencontre la plus marquante de Claude Terrasse à Lyon est celle de Paul Trillat, organiste de la primatiale Saint-Jean, qui devient son premier professeur de piano et lui enseigne également l’harmonie. Musicien de formation exclusivement savante, Trillat fait travailler son élève, notamment pour les concerts annuels de L’ArbresIe.

Une année, Terrasse interprète  Les Courriers de Ritter. Une autre année, se souvient-il « j’ai joué le final du Concertstùck de Weber ; il y avait plus de notes, dans un mouvement plus rapide ; on constata que j’avais fait de grands progrès ». La rencontre avec Trillat détermine la vocation musicale de Claude Terrasse : il sera organiste.

Paul Trillat conseilla à son père de l’envoyer à Paris, à l’Ecole Niedermeyer, encore appelée Institut de musique d’église. De cette école, sortirent de nombreux musiciens renommés, tels que Fauré, Messager, le caladois Walter qui fut organiste au collège de Mongré. Terrasse y eut comme professeurs Gigout et Saint-Saens.  Il devint l’organiste de l’église de la Trinité.

Du 3 novembre 1887 au 15 novembre 1888, il effectua son volontariat dans l’infanterie, à Grenoble. Au cours de son service militaire, il se lia d’amitié avec un camarade de régiment, Charles Bonnard. Par son intermédiaire, il fit la connaissance de sa sœur, Andrée, qui devint son épouse le 25 septembre 1890.

La première partie de sa vie de musicien a bientôt cédé la place à celle de compositeur d’opérettes et d’opéras bouffes. Citons parmi les  plus jouées : Les Travaux d’Hercule, Le Sire de Vergy, La Botte secrète, Monsieur de la Palisse.                                                                              

Singulière destinée que celle de ce musicien qui quitta le tabouret d’organiste de l’église de la Trinité pour aborder la partition d’Ubu Roi ! C’est que la vocation chez un véritable artiste est la plus forte et Claude Terrasse se sentait porté davantage à divertir les hommes qu’à leur élever l’âme.

Reconnu par ses contemporains comme le maître de l’opérette, estimé de Debussy, Ravel et Satie, Claude Terrasse est le grand compositeur bouffe du XXe siècle. De 1900 à 1914, il domine la scène française. Beau-frère et intime de Pierre Bonnard, il fréquente les Nabis. Il côtoie l’avant-garde littéraire et collabore avec Alfred Jarry, Franc-Nohain, Courteline, mais également de Fiers et Gaillavet. Célébrité joyeuse du Paris de la Belle Epoque, il est tour à tour professeur de piano, organiste, chef d’orchestre, directeur d’un théâtre et d’une maison d’édition, mais surtout compositeur : de son vivant, il accumule les succès, – et il n’est pas une saison où ses pièces ne soient créées ou reprises.

A travers cette personnalité attachante, c’est toute l’effervescence du milieu artistique d’avant-guerre qui revit.

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 La ville de l’Arbresle a tenu à rendre hommage à son illustre compositeur avec, outre sa stèle dans le parc du Souvenir, une rue à son nom et la principale salle de réunion située à la sortie Ouest de la ville.

 

Sources : Claude Terrasse, de Philippe Cathé – Edition l’Hexaèdre

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