De la typhoïde à l’hygiène
Résumé
L’Arbresle, au cours de son histoire n’a pas été épargnée par les épidémies de toutes sortes.
Sa situation de passage la mettait en bonne place pour la propagation de toutes les maladies, et ce n’est pas par hasard que, dès le 7° siècle, un " Hôtel-Dieu " y fut construit.
La dernière en date et, espérons-le, la dernière tout court, date de 1907
Ce fut une épidémie de fièvre typhoïde. Pourquoi en reparler aujourd’hui ? Parce qu’elle fit faire un bond prodigieux à l’hygiène communale et privée, grâce à un homme, un praticien Arbreslois.
Le docteur Girard à vécu cette épidémie ; il a soigné les malades, mais ne s’est pas contenté de cela ; en scientifique précis, il a scrupuleusement analysé tous les aspects de l’évolution maligne, les origines possibles les causes de propagation. L’année suivante, il publiait ses conclusions dans un petit ouvrage : " Relation sur l’épidémie de fièvre typhoïde – L’Arbresle 1907 ".
Ce fut le point de départ d’une véritable prise de conscience de l’hygiène publique et en particulier de la qualité des eaux. Cet homme efficace et discret (pas de rue à son nom, pas de souvenirs particuliers) méritait bien un coup de chapeau.
L’explosion de la maladie
L’été 1907 avait été beau et très chaud. La santé des Arbreslois semblait excellente. Cependant ces fortes chaleurs entraînaient un manque d’appétit, un manque de sommeil et les gens buvaient beaucoup.
Voici résumé, la description de l’épidémie telle que l’a constatée et vécue le docteur P. Girard
" Subitement le 2 septembre, le nombre des malades se multiplie et chez presque tous l’affection semble identique. "
Le lendemain, de nouveaux cas s’ajoutent et les jours suivants également, et l’on songe à une épidémie sans pouvoir identifier encore la fièvre typhoïde.
Le 10 septembre une analyse de sang fut faite à Lyon au laboratoire du professeur Jules Courmont. Le 12, la réponse arrivait : les malades étaient bien des typhiques. Du 9 au 15 il fut fait 118 déclarations : du 16 au 30, 94 déclarations et en octobre, 48.
La répartition topographique des malades sera intéressante comme on le verra plus loin, pour déterminer les origines de l’épidémie et mener une action pour le futur (1) :
– Rte de Paris, moitié supérieure : 19 cas – Rte de Paris, moitié inférieure : 28 cas – Quartier Saint-Julien : 1 cas – Rue Centrale : 65 cas – Rue du Marché : 29 cas – Rue Sapéon : 11 cas – Rue des Épis : 4 cas – Autres rues : 58 cas – Rte de Lyon : 24 cas – Rte de Bordeaux, 1ère moitié : 15 cas – Rte de Bordeaux, 2ème moitié : 3 cas – Rue de la Passerelle : 6 casLe nombre de personnes touchées fut exactement de 270.
Ce sont finalement 26.personnes qui moururent effectivement de typhoïde
Quelques étrangers doivent y être ajoutés. Il a été signalé quatre cas contractés à Lyon, chez des personnes étant venues passer quelques heures dans notre localité.
Le 27 août, le 98ème régiment d’infanterie était de passage à l’Arbresle. Dix-sept cas de fièvre typhoïde se déclarent dans ce régiment au début de septembre. Ils avaient tous étés cantonnés dans des habitations de la rue de Paris et de la rue Centrale.
Un certain nombre d’habitants craignant d’être frappés par la maladie avait quitté l’Arbresle, quelques-uns après avoir été contaminés. Ces cas de fièvre ont été déclarés dans des localités diverses, nous en connaissons une dizaine environ.
Dès le début de l’épidémie, nos typhiques furent soignés â domicile. Aussitôt l’affection connue dans sa nature, effrayés par la crainte de la contagion directe, débordés par le flot sans cesse grossissant des malades, il fut nécessaire d’hospitaliser ces derniers.
Les hôpitaux de Lyon qui, à cette époque ne sont pas encombrés; l’hôpital Saint-Joseph si particulièrement accueillant pour notre population, reçurent chaque jour de multiples convois.
Pendant toute la période de début et jusqu’au 13 octobre, il semblait que les vides provoqués par ces départs réclamaient et appelaient de nouvelles victimes. C’était en effet chaque soir, l’exode vers l’hôpital de cinq ou six malades et, chaque matin l’annonce de cinq à six cas nouveaux.
Les hôpitaux allaient bientôt se trouver dans l’impossibilité de recevoir nos typhiques. il nous fallait chercher d’autres milieux hospitaliers pour les y faire soigner.
Déjà la charité publique et privée était venue soulager nos misères. Son Éminence l’archevêque de Lyon nous avait adressé des sœurs infirmières;
Des listes de souscriptions étaient propagées et bien vite remplies par les généreux donateurs. Le Gouvernement adressait cinq mille francs à notre bureau de bienfaisance, comme secours aux typhiques.
C’est alors que le professeur Pic, médecin des épidémies du département, nous conseilla la création d’une ambulance. Le local, ancien couvent des Ursulines (2), nous était déjà offert par sa charitable propriétaire, madame Santa-Maria. Le 12 octobre, l’ambulance ouvrait ses portes à quinze malades.
Le transport des nouveaux typhiques continua à se faire vers l’ambulance jusqu’au jour, où fatiguée de lutter, la maladie succomba à son tour.
Premières mesures d’hygiène
" A côté de toutes les considérations que nous venons de développer, et qui relèvent plus particulièrement du service médical, nous devons signaler dans ses grandes lignes la conduite tenue par la Municipalité que l’opinion publique mal renseignée critiqua, trop souvent, injustement.
Aussitôt que furent prononcés les noms d’épidémie et de fièvre typhoïde, et même quelques jours avant que le sérodiagnostic ait confirmé les premières inquiétudes, il fut prescrit, le 9 septembre, une application plus stricte des arrêtés concernant l’enlèvement des immondices et des déchets ménagers. Une surveillance sévère fut faite autour des habitations. En même temps, par voie d’affiches placardées sur tous les murs de l’Arbresle et même aux portes de toutes les usines, la Municipalité invitait expressément la population à :
- Faire bouillir les eaux servant à la boisson et aux besoins du ménage
- Ne consommer les fruits et légumes qu’après les avoir lavés à l’eau bouillie ;
- Veiller d’une façon rigoureuse à la propreté des habitations.
Des demandes furent faites à M. le professeur Courmont pour le sérodiagnostic et l’examen bactériologique des eaux de source et de puits; celles-ci ont été décidées d’un commun accord entre la Municipalité et le corps médical.
Le 17 septembre la canalisation du Ravatel qui, au premier abord, semblait offrir moins de garanties que celle de la Fond-Devay, était définitivement fermée.
Lorsque le résultat des analyses micro biologiques au point de vue des sources et des puits fut connu, le 20 septembre, on plaça à chaque borne fontaine un écriteau signalant que les eaux étaient reconnues non potables. Dix jours après, ces pompes furent même fermées. Cette mesure avait été nécessitée par l’insouciance de quelques habitants qui n’avaient pas voulu comprendre l’importance de l’ébullition des eaux et aussi par l’imprudence des enfants qui continuaient à venir boire aux fontaines.
Une affiche fut placardée le 27 septembre par les soins du Conseil municipal, sous l’approbation de M. le Préfet, elle renfermait les arrêtés suivants
- Interdiction des dépôts de tous fumiers dans l’agglomération, si ce n’est dans des fosses étanches ; le transport de celui-ci devait être effectué à 800 mètres en aval de la ville après désinfection à la chaux.
- Désinfection au crésilol des linges ayant servi aux malades.
- Désinfection des fosses d’aisances avant chaque vidange.
- Lavage à l’eau bouillie des ustensiles à l’usage des laitiers.
- Balayage des trottoirs, des caniveaux, des cours intérieures, â charge et sous la responsabilité des habitants du rez-de-chaussée ou des propriétaires.
- Interdiction de laver le linge dans les cours d’eau au-dessous du point d’abouchement des égouts.
Le 9 octobre, un avis informait la population que l’analyse bactériologique dénonçait comme dangereux la plupart des puits, et bien que l’épidémie soit en décroissance,, on insistait à nouveau sur l’importance qu’il y avait à faire bouillir l’eau pendant une demi-heure, quelle qu’en soit la provenance.
Un service fut assuré pour fournir l’eau indispensable â l’alimentation dans les quartiers qui en étaient privés ; cette eau était prise clans les puits reconnus potables et transportée en différents points de la ville dans des demi-muids (n.d.l.r. :134 litres).
La machine à désinfecter du service municipal de Lyon, fut mise à disposition de la ville de l’Arbresle, elle assura jusqu’à la fin de l’épidémie la désinfection des linges et des foyers contaminés.
Dès les premiers jours d’octobre la municipalité se mit en rapport avec la compagnie de l’Ozone et la Société d’assainissement des eaux. Les propositions faites par cette dernière semblèrent d’une application plus facile et surtout plus rapide.
Le 14 novembre la ville de l’Arbresle passait un traité de location avec cette Société. Les travaux dont les plans et devis avaient été dressés par avance, étaient poussés activement. Le 15 décembre, alors que l’ambulance fermait ses portes, l’appareil fonctionnait, livrant chaque jour 110 mètres cubes d’eau épurée et filtrée à la consommation.
Les eaux reconnues responsables
Quatre échantillons d’eau de source ont été prélevés le 17 septembre :
- Eau de la Fond-Devay (3) (borne Mollon).
- Eau du réservoir de la route de St-Germain (4)
- Fontaine de la rue St Julien
- Fontaine de la rue du Marché
Voici le résultat fourni le 25 septembre
Tous les échantillons même ceux ensemencés en petite quantité, se sont montrés très riches en colibacilles, associés à d’autres espèces microbiennes
La constance et l’abondance du colibacille dans les échantillons prélevés permettent de conclure que les eaux analysées sont absolument impotables parce qu’elles sont contaminées de façon massive par des matières fécales.
Le 26 septembre, nouveau prélèvement
- A la source même de la Fond-Devay
- Boutasse Binder.
- Réservoir St-Germain
Toutes ces eaux se sont montrées très riches en colibacilles et donc, très dangereuses.
Les analyse des eaux de puits le 16 octobre, donnent des résultats analogues :
A part deux puits, avenue de la Gare et Rue des Epis, toutes doivent être contaminées par des infiltrations de matière fécale, et par conséquent non potables.
Analyse du 21 octobre, portant sur 13 puits : beaucoup de colibacilles, eau dangereuse.
De l’examen de toutes ces analyses il ressort, que les eaux de sources de la Fond-Devay et de Ravatel et celles des puits, à l’exception des eaux de la rive droite de la Brévenne, étaient toutes dangereuses du fait de l’abondance de leurs colibacilles.
La répartition topographique nous fournit de précieuses indications. Si nous examinons la répartition des cas, indiquée plus haut, nous voyons que les rues et les quartiers où se trouvent le plus de typhiques sont ceux dont les habitants usent des eaux de la canalisation communale. En revanche, à l’extrémité de la rue des Épis, dans la rue des Vernays, dans la seconde moitié de la rue de Bordeaux et dans le quartier de la gare, c’est-à-dire dans les parties de la ville qui ne sont pas traversées par la canalisation, on ne trouve presque aucun cas. Le docteur Girard démontrait ainsi que la qualité des eaux dès leur origine était en cause, et non les canalisations comme beaucoup le pensaient alors.
Les cas rapportés sont même très discutables et relèvent presque tous de malades ayant bu de l’eau hors de chez eux.
Pourquoi un développement si fulgurant ?
Des orages qui se sont déclarés dans notre région le 19 août et qui frappèrent plus particulièrement le plateau d’Apinost et de St-Germain. Un épouvantable cyclone éprouva si durement cette région, que des arbres d’un mètre de circonférence furent couchés à terre ; des ceps de vignes, chargés de leur récolte en pleine maturité, complètement arrachés ; des toitures entières démontées. Une nappe d’eau de plusieurs centimètres d’épaisseur, recouvrait la surface du sol.
Les jours suivants le débit des sources fut sensiblement augmenté et, pendant quelques temps, les eaux perdirent leur limpidité.
Il est certain que le sol de cette région a été lavé par les eaux d’orage dans ses parcelles les plus intimes, aucun germe pathogène ne fut épargné, tous ont subit la même orientation, tous ont été collectés dans les fissures aboutissant à l’origine de nos sources.
L’orage s’était déchaîné le 19 août ; le 2 septembre furent signalés les premiers cas de fièvre. Il y a donc une relation évidente, de causes à effets, qui s’impose.
Des propositions pour l’avenir
Cette épidémie et surtout grâce à l’analyse rigoureuse qu’en fit le docteur Girard ainsi que ses propositions, l’hygiène publique ou privée a fait un grand pas, et beaucoup prirent conscience à partir de cette date, de son importance.
Le docteur Girard affirma sa conviction de l’importance de la qualité de l’eau dans l’hygiène communale, et ce problème fut à l’ordre du jour à l’Arbresle pendant les 25 ans qui suivirent l’épidémie. Dès 1908, fort de ses constats il écrivait :
" La question des eaux potables en ce qui concerne l’hygiène communale, est la plus importante, par suite la première à envisager.
Il faut compter cinquante à soixante litres d’eau par jour et par tête d’habitant.
Les communes situées aux environs de villes pourvues d’un service d’eau, privé ou municipal, n’ont qu’à traiter directement avec les compagnies ou les municipalités.
Pour les communes qui ne peuvent bénéficier de cet avantage, il y a lieu de considérer le cas de celles dont la grande majorité des habitations est groupée dans une aire limitée et aussi celui des petites agglomérations ou des maisons isolées.
En premier lieu et principalement dans les chefs-lieux de canton de trois ou quatre mille habitants la quantité d’eau potable consommée chaque jour est très importante.
Nous déconseillons d’une façon absolue l’usage de l’eau de puits, car dans ces localités les maisons sont toutes très rapprochées, les puits sont plus ou moins voisins des fosses d’aisances, par suite il se produit fréquemment des infiltrations fécales, l’eau se trouve alors polluée et très suspecte.
L’eau de sources, dut-elle sortir d’un terrain granitique, n’offre souvent pas les garanties suffisantes de pureté pour qu’on puisse lui accorder une confiance absolue.
Nous émettons en principe, qu’une localité d’au moins trois mille habitants qui n’a pas l’assurance d’avoir des sources toujours pures doit
- Rechercher le moyen qui lui fournira annuellement la quantité d’eau la plus grande possible, que ces eaux relèvent du captage d’une ou plusieurs sources ou de la création d’un barrage sur le trajet d’une rivière.
- S’assurer de l’épuration de ces eaux avant de les livrer à la consommation, admettant à priori, que les eaux collectées sont polluées ou peuvent le devenir à un moment donné. "
Le docteur Girard ne se contentait pas d’émettre des souhaits d’hygiène, propres à son métier ; il n’éludait pas les coûts d’installations de captages et d’épuration des eaux et pour cela aussi évoquait ce que nous appelons aujourd’hui des « montages financiers ».
Il prodiguait aussi d’utiles conseils aux particuliers qui ne pourraient profiter d’installations collectives, car trop isolés :
" Dans les petites agglomérations ou les maisons isolées, il faudra forcément recourir aux sources ou aux puits. Pour les sources il y aura lieu d’en protéger l’accès, afin que l’eau ne soit pas contaminée à son émission, on évitera que le bétail ne s’y abreuve et pour cela, on fera une dérivation destinée à conduire l’eau à vingt ou trente mètres de là dans un abreuvoir.
Les puits sont certainement beaucoup plus nombreux, il n’est pas dans nos communes de hameaux, voire même de maisons qui n’en possèdent plusieurs. Il y a lieu d’observer dans la construction de ceux-ci des règles de la plus grande importance.
Tout d’abord chaque puits devrait posséder dans sa zone filtrante une couche de sable fin de soixante centimètres environ. De plus la région supérieure, celle qui se trouve au-dessus de cette zone, devrait être entièrement maçonnée et cimentée.
En troisième lieu un puits devrait être entouré d’une aire de deux à trois mètres de rayon en béton "
Avec sagesse, il constatait ensuite que l’élimination des eaux usées, le futur tout-à-l’égout, ne pourrait être envisagé qu’après avoir assuré l’alimentation en eau.
Ainsi s’ouvrait une période agitée de débats, de projets, de disputes entre " barragistes " et " anti-barragistes " ; le " problème des Eaux " occupa quatre municipalités, jusqu’à la Fête des Eaux du 17 juin 1934 qui consacrait enfin une réalisation.
Mais ceci est une autre histoire…
Bernard Isnard
- Noms actuels des rues : Centrale=Charles de Gaulle ; du Marché=Pierre Brossolette Sapéon (disparue) ; des Épis= Emile Zola : de la Passerelle=Docteur Dusserre.
- A cet emplacement a été construite l’actuelle maison de retraite des Collonges
- Le long de la RN7, en contre-bas de la colline des Mollières.
- Près de l’école Ste Thérèse