Les industriels et inventeurs

Hugues Jossard 1365-1408 De la loi à la mine

Résumé

Si Jacques Cœur, le brillant homme d’affaires du XV° siecle est bien connu dans la région pour avoir été propriétaire des mines environnantes, on connaît moins Hugues Jossard qui, lui aussi, posséda les mines, avant Jacques Cœur.

Le récit de sa vie, liée aux mines de Brussieu en particulier, présente d’autant plus d’intérêt, que les fouilles de Pampailly, conduites par le professeur Benoit, sont maintenant terminées. Elles ont permis d’en savoir plus sur l’extraction des métaux précieux. On visitera avec intérêt le musée qui a été installé dans le village de Brussieu. Hugues Jossard, est né à l’Arbresle ; faisons connaissance…

Une origine dans l’aisance

 L’histoire d’Hugues Jossard est celle d’une ascension fulgurante, aidée par une origine aisée et un mariage avantageux. Mais l’homme avait l’intelligence et les capacités pour tirer au mieux parti de ces avantages.

La fortune de Hugues Jossard ne s’est pas faite de rien. Il appar­tenait à une famille de l’Arbresle. Notre site auquel la rencontre de trois vallées assurait déjà à cette époque une certaine activité commerciale, offrait au surplus, comme capitale administrative de la baronnie de Savigny, des emplois à de nombreux juristes.

Son père avait acquis des maisons, des moulins et des terres, et avait envoyé aux  « estudes » ses deux fils qui y conquirent, l’un, Jean, le titre de licencié en lois, l’autre, Hugues, celui de bachelier.

À cette aisance initiale, Hugues ajouta les ressources qu’il dut à un très riche mariage. Sa femme, fille d’un laboureur enrichi de l’Arbresle, lui apporta au jour de ses noces au moins 300 florins d’or ainsi que des maisons, des champs et des prés. Son père Vincent de la Croix déclare dans son testament du 7 octobre 1372, qu’il fait Marguerite légataire universelle en compagnie de ses deux autres filles, sauf au cas où lui naîtrait un fils ; celui-ci serait alors tenu de donner 300 florins d’or à chacune de ses trois sœurs, avec les vêtements nuptiaux.

Le profit n’était pas seulement matériel ; Marguerite de la Croix – tout ce que nous savons d’elle le prouve – était une femme de tête, qui, après la mort de son mari, sut fort bien gérer l’héritage. On la voit se défendre avec acharnement, soit contre les consuls de Lyon qui prétendent imposer ses fils, en 1415-1416, soit, au même moment contre le prieur de saint Irénée, qui, possédant des droits sur les mines comme seigneur tréfoncier, avait tenté de chasser les ouvriers mineurs travaillant pour les Jossard et de les remplacer par des gens à lui.

Dans les deux cas, elle agit comme « administratrice » de la succession – l’un des fils étant « estudiant en l’université de Paris », l’autre suivant les armes -, et elle se comporte en maîtresse femme. Elle survécut longtemps à son époux, jouissant jusqu’au bout de la confiance de ses enfants ; elle mourut le 21 octobre 1447. Nul doute que, lui vivant, elle n’ait contribué à l’édifi­cation de sa fortune.

Y concoururent aussi les fonctions qu’il exerça.

 L’homme de loi

Commença-t-il sa carrière au service de l’abbaye de Savigny ? On l’ignore. En 1388, en tout cas, il était procureur de l’archevêque (1). il devint peu après lieutenant du petit scel de Montpellier (2), et surtout lieutenant du bailli (3) et juge des ressorts (4). En quelques années, il passa ainsi du service de l’archevêque au service du roi ; dans ce dernier service, il se montra un ardent défenseur des droits du roi face à l’Eglise de Lyon.

Nous sommes sous le règne de Charles VI qui hérita de la couronne à l’âge de douze ans. La régence fut confiée à ses oncles, les ducs d’Anjou, de Bourgogne, de Berry et de Bourbon qui, après avoir dilapidé le trésor royal et augmenté les impôts, durent faire face à plusieurs révoltes dont celles des maillotins à Paris, des tuchins en Languedoc et de Philippe Van Artevelde en Flandre. En 1388, Charles VI, décidé à gouverner seul, renvoya ses oncles et rappela les anciens conseillers de son père. Ceux-ci, surnommés les marmousets, surent mettre en place une administration efficace et réduire les dépenses de l’État. En 1392, le roi fut frappé de démence en traversant la forêt du Mans, et ses oncles reprirent le pouvoir sous la conduite du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Une ère de troubles commença alors mais qui ne semble guère avoir gêné Jossard.

Ce n’est pas ici le lieu de montrer l’importance du rôle politique de Jossard aux postes où il était parvenu, mais on ne saurait comprendre son ascension sans insister sur le prestige et l’autorité qu’ils lui conféraient lorsqu’il devait agir en tant que chef d’industrie.

Enfin, une mort précoce enleva son frère au moment où Jean, qui avait d’abord été son associé, était peut-être en train de devenir un rival. Comme on le verra plus loin, les deux frères font ensemble l’acquisition de 1391 ; or Hugues ne fait pas entrer Jean dans la société qu’il monte en 1393, et, trois ans plus tard, Jean obtient, par donation faite à lui seul, un morceau, de la « montaigne » de Pampailly. Il est à ce moment juge ordinaire du comté et fait figure, lui aussi, de grand et riche personnage. Sa mort précoce nous prive d’un autre type d’homme de loi, homme d’affaires, peut-être même d’une seconde réussite Jossard… Mais, s’il eût vécu, celle de son frère eût-elle été aussi éclatante ?

Le mineur

 Toujours est-il que du coup, Hugues était libre de diriger à son gré ses entreprises. Ces dernières se développèrent en trois temps : découverte et acqui­sition d’un premier gisement; organisation et exploitation de ces mines ; des années plus hésitantes, et moins connues enfin, où Jossard essaie de donner à ses affaires une plus grande extension.

Ce fut l’acquisition progressive et l’exploitation du site de Pampailly, sur la commune de Brussieu (lire le sujet sur la mine de Pampailly, dans Mines et Carrières).

Les autres tentatives

 Par la suite, il engagea une partie des capitaux que lui avait procurés le gisement de Pampailly dans une société qui essayait de mettre en valeur les mines du Bourbonnais. On le voit en effet se lier d’intérêt avec trois personnages dont les deux derniers au moins exploitaient sûrement celles-ci : Jocerand Frepier, que les offices de finance élevèrent à la noblesse et à la fortune ; le maître mineur Robert Grenier ; Thomas Rossignol enfin, qui, imitateur de Jossard, ne parvint pas à d’aussi brillants résultats que son modèle.

Jossard persistait aussi dans la région. Il tenta simultanément d’attaquer la « montaigne » de Pampailly par les autres versants, sans grand succès, semble-t-il. Surtout, il chercha ailleurs d’autres mines à exploiter ; peut-être prospecta t-il celles de Sourcieux, sur la rive orientale de la Brévenne ?

 La tentative faite à Sourcieux les Mines est signalée par de Valous. mais aucun document n ‘en a fourni la preuve. Il est certain, en revanche, que Jossard prospecta un gisement près de Montrottier. au « puy de Montchanin », qu’il acheta à Dame Alix d’Albon, le 4 sept. 1403, et qu’il lui revendit dès le 28 octobre, les résultats étant mauvais et « le travail très périlleux ». On voit combien chez lui la prudence et la méthode s’alliaient à l’audace du pionnier.

Anoblissement et fortune

 Le premier était officiellement la récompense de ses services d’officier royal. En fait, il consacrait les initiatives du capitaine d’industrie. Non seulement celles-ci lui avaient permis de trouver aisément la « finance », d’ailleurs modérée, qu’il dut verser au Trésor pour son anoblissement, mais le dixième annuel qu’il payait au roi, – alors que cet impôt n’était peut-être pas encore obligatoire -, sans doute aussi les cadeaux qu’il offrait aux puissants du royaume le signalèrent à l’attention de ces derniers. Dès 1398, en tout cas, il était anobli, « lui, sa femme et sa postérité… »

En même temps, son patrimoine ne cessait de grossir. En 1406, il possédait à Lyon cinq immeubles et cinq bancs de boucherie, dont il retirait des loyers élevés. Sa maison d’habitation, estimée 1.200 écus, était une des plus luxueuses de la ville. Son « meuble », fort de 3.000 écus, donnait la mesure de sa richesse, qui devait être alors sans égale dans la bourgeoisie lyonnaise

Sa richesse immobilière en ville n’était sans doute pas loin de dix fois celle qu’il possédait en 1388. Son « meuble » était six fois plus élevé. Or, entre temps, il avait acquis ses trois seigneuries. Nous connaissons le prix de l’une d’elles, celle de St Symphorien, qui lui coûta 3.000 écus ; il faut admettre un prix plus élevé, ou au moins équivalent, pour chacune des deux autres. Il ne paraît pas exagéré de penser qu’au total sa fortune primitive, a été, au bas mot, multipliée par quinze, sinon par vingt, et cela en moins de deux décennies.

Noble et richissime, comment ne fût-il pas devenu seigneur ? Or, par une coïncidence qui ne saurait être fortuite, les seigneuries qu’il acheta encadraient la zone minière de la Brévenne : celle de Châtillon d’Azergues au Nord et celle de Saint Symphorien le Château (Saint Symphorien sur Coise) au sud, dont il acquit une partie seulement ; celle de Poleymieux, à l’est, dont il devint l’unique maître. La seigneurie de Poleymieux pourrait bien avoir été la première des terres nobles acquises par Jossard, peut-être même avant l’anoblisse­ment.

Ces acquisitions qui le confortaient dans sa noblesse, étaient aussi, à l’évidence, des défenses autour de ses mines. Il reprenait à son compte le système de défenses des moines de Savigny trois siècles auparavant. Il faut savoir que les seigneurs voyaient d’un très mauvais œil ces travaux souterrains et que les paysans pensaient qu’il avait là commerce avec le diable !

Aucun trait n’illustre mieux la méthode et la suite dans les idées qui avaient déterminé sa réussite. En présence de celle-ci, un nom vient naturellement sous la plume, celui de Jacques Cœur. Sans doute, rien de comparable chez Hugues Jossard, à la diversité et, surtout,  à « l’ ampleur tentaculaire » des entreprises de l’argentier. Deux raisons pourtant autorisent à faire de lui un de ses précurseurs. D’abord, le fameux brasseur d’affaires devait reprendre à son compte l’exploitation délaissée du gisement de Pampailly mais, surtout par sa hardiesse, par ses procédés d’association, par son ascension rapide, le juriste maître mineur n’est-il pas de ceux qui lui ont ouvert la voie ?

Les fils et l’héritage

 Après sa mort, l’héritage, d’abord géré par sa veuve, fut partagé entre leurs fils, tous deux prénommés Jean.

Jean l’aîné, né vers 1395 et décédé en 1463, fait tout pour se poser en « vray noble » : il combat à Azincourt, s’unit par deux fois à des familles de moyenne noblesse, s’installe dès 1416 en seul maître dans le château de Châtillon dont il a hérité la coseigneurie, en complète les défenses, embellit la salle de justice, édifie des bâtiments d’habitation.

De ce nid d’aigle commandant la vallée d’Azergues, il nargue les consuls de Lyon qui, en 1418, le somment en vain de venir prendre sa place dans la défense de la ville. Il tente, sans succès, de reprendre de force sa charge d’élu à son successeur, Etienne de Villeneuve.

Assagi, il se préoccupe surtout, après 1430, de tirer parti du mieux de sa seigneurie, dont il fait refaire le terrier (5), assistant en personne aux « réponses » des tenanciers, réduisant leurs charges afin de les retenir ou d’attirer des hommes sur ses terres, se comportant en gentilhomme campagnard éclairé, tout en de­venant en 1450 maître des ports en la sé­néchaussée.

Jean le jeune, né vers 1400 – décédé après le 3 novembre 1464, formé aux écoles, allié, lui aussi, à des lignages chevaleresques, a hérité de Poley­mieux et s’est mis comme, quelque temps son frère, au service du duc Charles de Bourbon (qui les envoie tous deux en ambas­sade à Florence, en 1435), mais lui y est demeuré. L’un et l’autre, après s’être long­temps désintéressés des mines, ont profité de l’impulsion nouvelle qu’elles ont reçue de Jacques Cœur et, quand elles passent sous séquestre royal, le procureur Dauvet s’en­toure des conseils du seigneur de Châtillon, « expert et congnoissant en telles matiè­res ».

Ce dernier, mort sans enfant, laissa tout son bien à son frère, qui, lui-même, partagea le patrimoine, èphémèrement rassemblé, entre son fils Guillaume qui, déjà seigneur de Dargoire, héritait de Poleymieux, et ses deux filles, qui devaient se répartir les revenus des mines et qui auraient, l’une Jeanne, Saint­ Symphorien, l’autre, Françoise, Châtillon.

Mais le fils de celle-ci, Urbain Terrail, vendit dès 1474, pour 800 écus d’or, sa part de Châtillon à Roffec de Balzac, dont le père avait occupé de force le château en 1465. Et, tandis que la descendance de Jeanne s’éteignait, Poleymieux entrait (en 1492 au plus tard) dans le patrimoine d’une autre famille de maîtres mineurs, les Baronnat, famille qui fut aussi associé avec Jacques Cœur dans les mêmes mines quelques décennies auparavant.

Hugues Jossard est probablement le plus ancien ancêtre des chefs d’entreprises qui eurent un lien étroit avec l’Arbresle. Lui, comme tous ses successeurs qui ont exploité les richesses d’une extraordinaire diversité de notre sous-sol jusqu’à la fermeture des dernières mines, ont apporté, sinon une grande prospérité, au moins du travail dans nos vallées

Mais l’épopée des Jossard père et fils ne dura guère qu’un siècle. Au capitaine d’industrie qui conquit en une seule génération, renom, noblesse et fortune, succédèrent des rentiers du sols plus soucieux de leur seul renom et de leurs relations ; les hasards généalogiques (beaucoup de filles et peu de descendance) firent que le nom s’éteignit rapidement.

 

Bernard Isnard 

 
 
1 – Chargé de le représenter en tout et partout en matière juridique.
2 – Officier royal chargé de la surveillance du trafic du sel entre le   Languedoc et Lyon.
3 – Le bailli était chargé des fonctions judiciaires, financières et militaires. Lyon dépendait du bailliage de Macon
4 – Etendue de juridiction et des compétences d’un corps judiciaire
5 – Registre contenant le dénombrement des biens seigneuriaux et les redevances dues au seigneur.

 Bibliog. : Les hommes de loi Lyonnais à la fin du Moyen Age   René Fédou – 1964

R. Fédou, « Une famille aux XIV° et XV° siècles : les Jossard de Lyon.

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