Ecrivains

Pierre Valin Ecrivain et philosophe

Résumé

 

 Le Docteur Marchand se souvient de Pierre Valin

 Un homme est passé, laissant derrière lui des livres, une œuvre littéraire qui eut ses lecteurs avant de tomber dans l’oubli. Bien après sa mort, un de ses amis rassemble ses souvenirs, à la demande de Louis Sainclair, alors président fondateur des Amis du Vieil Arbresle, pour évoquer cette figure d’écrivain : c’est ainsi que se présente le texte manuscrit du Docteur Henri Marchand sur Pierre Valin, précédé d’une lettre d‘Henri Marchand, datée du 12 octobre 1963 qui informe Louis Sainclair de l‘existence de cet écrivain arbreslois oublié de ses compatriotes.

 Dans un manuscrit de sept feuillets à l’en-tête de l’Association des Ecrivains Algériens, envoyé le 24 novembre 1963, Henri Marchand retrace brièvement la vie de cet Arbreslois, s’attardant surtout sur sa production littéraire.

Malgré quelques approximations, cet hommage nous permet de cerner la personnalité d’un homme aux multiples talents issu d’une famille arbresloise riche en individualités singulières. Son père (nommé lui aussi Pierre Valin) également écrivain, fut journaliste pour diverses feuilles lyonnaises ; son frère ainé Anthelme mena une vie aventureuse en Argentine (voir Arborosa n°2 Janvier 2002) tandis que sa sœur Elisabeth fut également écrivain.

Henri Marchand eut l’heureuse idée d’adjoindre à son texte deux poèmes de Pierre Valin dont le lecteur appréciera l’inspiration teintée de nostalgie, invitation à redécouvrir une œuvre foisonnante.

André Rostaing-Tayard, Daniel Broutier

 

 ASSOCIATION DES ÉCRIVAINS ALGÉRIENS

La Humbertière, Pommiers (Rhône)

                                                                                                                                             Le 12 octobre 1963

 

                   Monsieur le Président,

 

             Comme suite au compte-rendu de la dernière réunion des « Amis du Vieux l’Arbresle » que je lis dans le « Progrès » de ce jour, puis-je vous rappeler Pierre Valin parmi les écrivains nés à l’Arbresle et dont le nom mérite de ne pas sombrer dans l’oubli. Écrivain fécond, Pierre Valin a publié des romans, des nouvelles, des recueils de poèmes, des pièces de théâtre en vers et en prose ; il était de plus un critique littéraire et un conférencier hors ligne. Il fut quelques temps consul en Russie.

                J’ai connu Pierre Valin à Alger où il a longuement séjourné (de 1925 environ à 1935, à ma connaissance) et nous nous étions liés d’amitié. Il avait séjourné quelques jours avec sa sœur dans ma maison familiale de la « Humbertière à Pommiers (Rhône) d’où je vous écris aujourd’hui ; je lui avais de mon côté rendu visite à l’Arbresle. J’ai été bouleversé à la nouvelle de sa mort survenue au Maroc (sauf erreur en 1935) où il fut écrasé par un camion. Il avait des neveux (ou nièces) qui doivent encore habiter l’Arbresle et il était cousin plus ou moins éloigné de Barthélémy Thimonnier.

Sur son séjour à Alger, sur son caractère agréable qui le rendait sympathique à tous les éléments de la population, sur son œuvre (et bien que tous les ouvrages de lui que je possédais soient disparus dans le pillage de mon appartement à Alger) je pourrais dire bien des choses intéressantes. Cela pourrait motiver quelque jour, si vous le voulez, une communication à votre société, et peut-être arriverais-je à convaincre la municipalité de l’Arbresle que le nom de Pierre Valin devrait en toute justice être donné à l’une des rues de la ville.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération distinguée.

 

H Marchand

Président de l’Association des Ecrivains Algériens, rapatrié d’Algérie

L’écrivain Pierre Valin est né à l’Arbresle en 1866, décédé accidentellement près de Casablanca (Maroc) en 1936 à l’âge de 70 ans. Sa dépouille mortelle a été rapatriée et repose en compagnie des siens au cimetière de son pays natal.

La famille de Pierre Valin était installée dans la région arbresloise depuis le XVIIIème siècle au moins. On peut lire sur le monument funéraire le nom d’Anthelme Valin*, curé de Lissieu  où il exerça son ministère au début du siècle passé

 L’écrivain parle d’autre part, dans l’un de ses ouvrages, de son bisaïeul et de son trisaïeul sans indiquer leur situation sociale. Il y rend  un hommage ému à la mémoire de sa femme et de ses trois fils qu’il eut le [1]malheur de perdre les uns après les autres sans qu’ils lui aient donné de petits enfants.

Si l’on en croit un article récemment paru dans le "Progrès de Lyon", Pierre Valin était cousin plus ou moins éloigné de Barthélémy Thimonnier, un autre arbreslois, inventeur de la machine à coudre. Actuellement la famille de Pierre Valin ne semble plus être représentée que par un neveu qui a quitté l’Arbresle où il conserve cependant la maison où vécurent longtemps l’écrivain et sa sœur Elisabeth décédée en 1932.

 Après une jeunesse studieuse  et autant qu’il m’est possible de le savoir, un professorat de langues vivantes, Valin représenta un certain temps la France à Saint Pétersbourg dans un poste consulaire.

 C’est plus tard, à Alger, de 1925 à 1936 que je l’ai connu. Il y était  venu un peu,  je crois, pour la santé de sa sœur avec laquelle il vivait, et beaucoup pour la facilité de vie à cette époque, car il ne jouissait que d’une modeste retraite. Pendant cette période de 10 années son activité littéraire fut des plus soutenues et des plus brillantes. Non seulement il tint dans la revue "Afrique", organe de l’Association des Écrivains algériens, la chronique de critique littéraire qui lui avait été rapidement confiée, non seulement il se dépensa en conférences remarquables, mais il publia presque coup sur coup un volume de nouvelles (Khaïna la kabyle) un volume de poèmes (La vie intérieure), 3 pièces de théâtre (Parisina, Dalila, Salomon).

 Son caractère affable, son dévouement inconditionnel, le firent aimer de tous les milieux en Algérie. N’avait-il pas entrepris par exemple à un moment donné d’enseigner bénévolement le français à des fillettes arabes non scolarisées. Très vite je me liais avec lui d’amitié. Nombre d’excursions que nous fîmes par la suite en commun à travers les montagnes de Kabylie pour lesquelles il eut toujours un goût marqué (et qu’il évoque en plusieurs conférences) nous lièrent  plus encore.

 L’œuvre de Pierre Valin est considérable. Ce fut un écrivain des plus féconds. J’ai sous les yeux la liste de ses ouvrages : 2 recueils de poèmes, 5 romans, 2 volumes de nouvelles, 9 pièces de théâtre en vers, 2 en prose, 2 volumes de philosophie. Au total 22 ouvrages.

 Les plus lues de ses productions ont été sans doute les romans. Les deux ou trois premiers d’entre eux (Le Vosgien, Le sculpteur de montagnes, La société idéale) sont des ouvrages de jeunesse et n’auraient pas attiré particulièrement à eux seuls l’attention.  Il n’en est pas de même de Madame le docteur Berthier qui, paru en feuilleton dans le "Salut public", à une époque où les femmes-médecins étaient encore une rareté, fut beaucoup lu et commenté dans la bourgeoisie lyonnaise. D’une plume alerte et d’un genre tout différent fut  Le mystère de la villa close, paru en feuilleton dans la "Presse libre" d’Alger, et qui eut également de nombreux lecteurs.

 Plus que le roman encore, le théâtre attira Pierre Valin. Mais là, il faut nous entendre. Il y a théâtre et théâtre : celui qui est jouable et celui qui ne l’est pas, soit en raison de la multiplicité trop grande des actes et des tableaux qui exigerait des décors ruineux, soit en raison de la longueur des textes qu’aucun acteur ne pourrait assimiler. C’est ce que Valin appelait assez plaisamment  "le théâtre de bibliothèque" par opposition à l’autre, et certaines de  ses pièces comportent 30 à 40 tableaux !

 Les pièces jouables ont nom Artewald, Dalila, Parisina, Galéas Sforza, Garibaldi et les Mille, Solario le Zingare. Sauf les deux premières qui sont en prose, toutes sont écrites en alexandrins. À mon avis Solario est de beaucoup la meilleure. Le thème rappelle celui du Passant de François Coppée ; le vers en est alerte, musical, un souffle de lyrisme et de fraîcheur passe sur cette œuvre qui a de plus le grand mérite d’être courte, donc jouable.

 Il n’en est pas de même de Salomon, et moins encore de la tétralogie dite Le Pape et l’Empereur, qui compte : 1° Les Surhommes, 2° Enzio ou les Poètes, 3° Manfred ou les Aventuriers, 4° Les Dolents. Ce sont de grandes fresques à tendances philosophiques qui témoignent d’un effort considérable et devant lesquelles il faut s’incliner bien bas. Elles renferment de belles envolées, mais leur présentation en alexandrins imperturbablement classiques et réguliers fatigue finalement le lecteur.

 Ceci nous conduit à l’œuvre proprement philosophique de Valin. Elle comporte 2 volumes : L’évolution de la philosophie du XIXème au XXème siècle, et surtout L’âme en deçà et au-delà de la mort. Toute pétrie de foi chrétienne est la philosophie de Valin. Vouloir l’analyser dans le détail ne saurait être le propos de ce jour. Disons succinctement que pour Valin, "l’univers ne comprend  que des âmes. Selon leur degré de développement elles se tassent par masse en matière et s’élèvent en pur esprit". Il faut donc "vivre en tendant de loin à Dieu, c’est-à-dire à la Perfection, l’Harmonie, le Bien le Bon, le Beau, l’Equilibre et la justice". Valin donnera comme règles de vie : ouvrir tout grand les sens, n’avoir jamais assez de ce que l’univers livre à notre connaissance ; aimer tout, aimer la nature, les monts et les forêts, nos frères inférieurs les animaux ; de faire aimer la vie, vivre et de faire vivre pleinement et joyeusement autour de soi ; accepter aussi toutes les douleurs comme des expériences nouvelles pour l’essor vers la perfection. Que nous voilà loin, n’est-ce pas, des Sartre et des Camus, de l’homme révolté et des théories démoralisantes sur l’absurdité de la vie !

 Nous avons gardé pour la fin de cet exposé les recueils de nouvelles, curieux et agréables et les deux recueils de poèmes : Pensées et Songes et La vie intérieure, ceux-ci datés des dernières années de sa vie. Ces deux recueils renferment, littérairement parlant, les plus beaux vers de Valin, où on y trouve la fluidité et l’harmonie lamartiniennes. Ce sont aussi les plus touchants parce qu’écrits, on le sent bien, avec une grande sincérité. Ils ont enfin le mérite, comme vous allez l’entendre par deux courts exemples que j‘ai choisis, de magnifier ce pays natal, cette terre arbresloise que l’auteur, au-delà des mers n’avait jamais oubliée.

 

Le lied du vieux pèlerin 

J’ai passé la mer bleue où sur le long sillage

Deux liserés d’argent traçaient notre passage.

Devant la ville blanche étagée en coteau

Dans un port d’Orient s’abrita mon bateau.

Et moi, dans un pauvre village,

En mon rêve, je vois là-bas,

La maison grise d’un étage

Où s’essaya mon premier pas.

 Je vous ai vus, palais des grandes capitales,

Nobles châteaux des rois, églises, cathédrales ;

Au pays du soleil, dans les jardins ombreux,

J’ai goûté la fraîcheur des jets d’eaux écumeux,

Mais par la pluie ou par la neige,

J’étais bien plus heureux, enfant,

Sous l’arbre où l’orage m’assiège,

Où je frissonne au froid du vent !

 J’ai gravi les sommets les plus altiers du monde ;

Les forêts ont couvert ma course vagabonde ;

Mes amours ont niché dans le creux des vallons ;

J’ai chanté les zéphyrs, mordu par l’aquilon.

 Mais au repli d’une colline

Où mon rêve va se poser

Il attend de voir que chemine

Mon enfance qui va passer.

 Ô maison paternelle où près de notre mère

La joie éternisait la minute éphémère !

Ô mes frères aimés que la terre a repris,

Nos champs vibrent encore à l’écho de nos cris.

 Parmi les sentiers de montagne,

Le long de nos ombreux ruisseaux,

Rochers, champs et flots de cocagne,

Comme les jours vous semblaient beaux !

 Voici que là-bas une brise s’élève,

Fille de ce pays où m’emporta mon rêve.

Souffle, baleine du Nord ! Tu passas sur les monts

D’où mes yeux, par delà de lointains horizons,

 Cherchaient la place où ma pensée

Ou fleur devait s’épanouir…

Toute la terre traversée

Ne m’a donné que déplaisir .


 

L’Arbre dans le ciel

 

Enfant, j’aimais les blés dont un  souffle balance

Le flot d’or où l’esquif d’un beau rêve s‘élance,

Les forêts, leurs grands fûts dont les cimes parfois

Vibrent au chant plaintif du rossignol des bois,

Les sentiers tortueux le long de la rivière

Dont aulnes et bouleaux ombragent l’onde claire,

Les vignes aux fruits mûrs sur le penchant des monts,

Et les prés étalés des coteaux aux vallons.

Mais enfant, plus encore, et plus maintenant même,

Plus que vignes et blés, ô landes je vous aime,

Quand voyant un plateau, courant sur un versant

La bruyère au soleil répand sur vous son sang.

Un soir, en gravissant votre pente rapide,

J’aperçois au sommet, noir sous le ciel candide,

Un pauvre arbre souffrant qui tend en haut ses bras,

E j’éprouve un émoi que je ne saisis  pas.

Est-ce un pressentiment qu’au dessus de la terre

Le mal atteint la joie et l’ombre la lumière ?

Ou l’espoir que d’ici tout ce qui vit parvient

Au lumineux repos du calme élyséen ?

Ignorant, je m’enivre à voir, troublant mystère,

Le ciel pur qui sourit dans les bras de la terre.

 

Association des Ecrivains Algériens

Henri Marchand

12, boulevard Baudin

ALGER



*Le docteur Marchand fait ici, une erreur de prénom. L’abbé Valin, curé de Lissieu et cousin de notre écrivain se prénommait Claude-Marie et non Anthelme. Il est l’auteur d’une « Notice sur l’Arbresle »publiée par l’imprimerie Vingtrinier, en 1876

 

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