Le château de Sain Bel
Résumé
Le château de Sain Bel était un élément important des possessions de l’abbaye bénédictine de Savigny. Il fut longtemps le lieu de résidence des abbés.
Marie-Pierre Feuillet, archéologue, a longuement étudié cet édifice. Elle a bien voulu accepté de nous communiquer cet « état des lieux ». Nous l’en remercions vivement ainsi que la famille Casoli, propriétaire des lieux, qui nous a également fourni les illustrations de cet article, ainsi que des informations complémentaires.
Le château de Sain-Bel a fait l’objet d’une étude archéologique sommaire en 2001 dans le cadre d’un projet de prospection thématique consacré aux châteaux de la baronnie de Savigny.
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L’opération a consisté en une étude documentaire et une analyse globale du monument visant à distinguer les grandes phases de l’évolution du monument. Certains détails architecturaux ont fait l’objet de relevés et des datations dendrochronologiques (1) confiées au laboratoire Archéolabs ont été cofinancées par les propriétaires et le service régional de l’archéologie (ministère de la Culture, D.R.A.C. Rhône-Alpes). La découverte au cours de l’été 2001 de peintures murales inédites dans un coin obscur et difficilement accessible de la chapelle au cours de prélèvements d’échantillons de bois a privilégié l’étude de ce secteur du château. Le suivi archéologique de la réhabilitation des appartements insalubres du 3e étage de l’aile méridionale a complété la documentation de cette partie du site. Cet article ne prétend donc pas proposer une synthèse générale sur le château de Sain-Bel mais plutôt mettre en lumière certains éléments obtenus récemment qui prendront leur place dans l’étude qui se poursuit.
Le site de Sain Bel se répartit sur deux collines de part et d’autre du Trésoncle à son confluent avec la Brévenne.
A l’origine, le village de Sain-Bel et son marché se trouvaient auprès de l’église paroissiale, sur la rive droite. La construction du château sur la colline de Montbloy lui faisant face a provoqué le déplacement de l’habitat qui s’est regroupé en rive gauche pour former un bourg castral clos de murailles avant le 15e siècle. Du château construit vers 1190 par l’abbé Bernard seule l’enceinte fortifiée reste visible aujourd’hui avec ses effets de polychromie.
Le château a été presque entièrement reconstruit au 15e siècle pour constituer la résidence principale des abbés de Savigny. Dans un cadre approprié à leur rang social, ils jouissent alors tant du confort d’un hôtel que de la sécurité d’une fortification efficace. En effet l’abbaye de Savigny avait été prise par les Routiers en 1363 et sera de nouveau enlevée par les Protestants en 1562.
C’est l’abbé Guillaume d’Albon (1415-1456) qui commence la restructuration du château avec la construction de la tour de l’Horloge et du logis oriental. Son successeur, Jean d’Albon (1456-1492) poursuit les travaux avec la construction de la tour du Colombier (1474-1475), la création de la grande galerie sur cour du bâtiment méridional et l’aménagement de la chapelle(1473-1476). Divisé en lots lors de sa vente comme Bien National en janvier 1791, le château est racheté au milieu du 19e siècle à ses divers propriétaires par le soyeux Pierre Bariou dont les descendants, la famille Casoli, possèdent encore la presque totalité du monument.
Le château a été inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques par arrêté du 27 mars 2001 Il est constitué d’un ensemble de bâtiments adossés à l’enceinte et organisés en U autour d’une cour centrale où se trouve le puits. Il est décrit en détail dans cinq états des lieux réalisés successivement de 1692 à 1762. Un vaste ensemble de communs, presque entièrement disparus s’étendaient en arrière du château, vers le nord. On entre dans le château par une porte jadis surmontée d’une tour carrée. A l’est, plusieurs corps de logis médiévaux se succèdent dans le prolongement de la tour de l’Horloge. En face, à l’ouest, leur répondent la tour du Colombier, à vocation défensive, les anciennes cuisines, et la chapelle castrale. L’aile sud constituait le bâtiment principal du château. Ce bâtiment principal était flanqué par deux tours carrées, la tour-porche ou « petite tour », à l’est, et la tour des Empereurs. La tour-porche, dont ne subsiste que la partie basse, était encore coiffée en 1692 de son hourd de chêne à la toiture pentue « à la française ». Elle abritait les archives de la châtellenie. La tour des Empereurs devait son nom aux portraits d’empereurs romains peints sur les murs d’une de ses pièces. Elle a été détruite au 19e siècle Le bâtiment principal s’élevait sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée se trouvait la salle d’audience, décorée de peintures attribuées à Jacques Stella et la chambre de l’abbé. La façade sur cour était précédée d’une grande galerie de bois qui assurait la desserte des différentes pièces décrites avec minutie dans les états des lieux des 17e et 18e siècles. On croyait cette galerie édifiée entre 1473 et 1476 par l’abbé Jean d’Albon entièrement détruite par les travaux du 19e siècle mais il en subsiste encore deux travées. Un escalier monumental menait au premier étage. Le second étage était également affecté à un usage résidentiel « noble » comme en témoignent les restes d’une cheminée monumentale découverte en 2002.
Dans la seconde moitié du 19e siècle, un incendie ravagea cette aile d’apparat du château. La grande galerie et la tour des Empereurs furent abattues. L’édifice du 15e siècle fut restructuré pour abriter une filature. Une nouvelle façade sur cour remplaça l’ancienne galerie de bois, augmentant la profondeur du bâtiment. Les niveaux de planchers furent modifiés. De grandes fenêtres furent percées dans la façade méridionale selon un ordonnancement caractéristique dans la région. Un nouvel escalier, placé entre l’ancienne et la nouvelle façade sur cour, assura désormais la desserte des étages. Plus tard, l’activité industrielle fut abandonnée et le bâtiment divisé en logements de rapport. La chapelle castrale Peu après la construction de la grande galerie, dans le même intervalle chronologique1473-1476, la chapelle castrale a été aménagée au rez-de-chaussée, dans l’angle sud-ouest de la cour, encastrée pour moitié sous la galerie dont elle occulte alors l’extrémité occidentale. Ce revirement assez surprenant du programme architectural n’a pas encore reçu d’explication : un caprice du commanditaire ?
La chapelle, appuyée contre l’enceinte du 12e siècle, possède un chevet plat percé d’une baie circulaire, peut-être ornée d’un remplage comme la porte sur cour. Cette baie a été ensuite occultée par la construction de la cuisine dans le prolongement de la chapelle. La chapelle est aujourd’hui coupée en deux par un mur du 19e siècle placé sous la poutre porteuse du sol de la galerie. Elle possédait deux portes dès l’origine. La première, ouvrant sur un vestibule sous la galerie permettait à l’abbé de se rendre à la chapelle à l’abri des intempéries. Une seconde porte donne directement sur la cour. Une troisième porte fut percée plus tardivement au sud. Le plafond médiéval de la chapelle est conservé dans sa partie nord. Les poutres sont peintes de couleurs vives : rouge, jaune, noir. On ignore le décor mural primitif de la chapelle. Un enduit blanc d’origine est constellé à hauteur d’homme de graffitis du 15e siècle: inscriptions, rosaces, arbalètes, blasons et même personnages dont une joueuse de flûte, peu appropriée au lieu ! Cet enduit est recouvert d’une couche épaisse de mortier sur laquelle sont peints les décors modernes. Une peinture en trompe-l’œil confère un caractère architectural à la porte sud. Des médaillons à têtes d’anges et faux marbres décorent la partie basse de la même paroi. Au-dessus plusieurs textes sont en cours de déchiffrage. Le principal est un récit de la Passion, thème du décor de la chapelle au 17e siècle. Dans la partie sud de la chapelle ne subsiste que le bas des tableaux qui ornaient le haut des parois. En revanche, la paroi où se trouvait l’autel a été conservée en totalité. Ces peintures sont très dégradées et l’on devine plusieurs décors successifs. Un panneau occupe tout le mur nord et représente une crucifixion, encadrée à gauche par la représentation d’un château, à droite par celle d’une forêt. Un angelot dont ne reste que le bras dévoilait la scène en tirant un ample rideau. L’état des lieux de mai 1692 attribue les peintures représentant la Passion à Jacques Stella, l’un des plus grands peintres français du règne de Louis XIII. Stella aurait également peint l’histoire de Judith dans la salle d’audience du tribunal, au rez-de-chaussée du bâtiment méridional. Mais les spécialistes de cette période consultés, madame Galactéros et le regretté Gilles Chomer ont émis de sérieux doutes sur l’attribution de la crucifixion à Jacques Stella. Il est malaisé de distinguer les différentes couches picturales qui se mélangent pour nous donner l’image visible aujourd’hui et seule une étude minutieuse de ces décors peints permettrait de déterminer la part éventuelle de Stella ou de son entourage au décor du château de Sain-Bel. Le château de Sain-Bel illustre l’évolution des châteaux ecclésiastiques lyonnais à la fin du Moyen-Age. De centres administratifs fortifiés, ils muent en luxueuses résidences d’abbés ou de chanoines placés au sommet de la hiérarchie féodale locale. Cette évolution provoque la construction de nouveaux bâtiments où le souci du confort et de l’apparat doit trouver un compromis avec les impératifs de défense, séquelles de la guerre de Cent Ans.
Le 15e siècle marque un renouveau économique, particulièrement sensible dans le secteur de Sain-Bel qui profite à la fois du développement des échanges commerciaux par la proximité de l’Arbresle et de l’exploitation du secteur minier de la Brévenne, par Jacques Cœur notamment. En outre, les circonstances permettent de comparer l’évolution du château abbatial de Sain-Bel avec celle du château de Chazay, propriété des abbés d’Ainay, qui a fait l’objet d’une étude récente dans le cadre d’une importante opération d’archéologie préventive dirigée par Chantal Delomier.