Au fil des Ans La petite Histoire

1814 : L’Arbresle brûle-t-il ?

Résumé

Dans un cahier de Philippe-Auguste Gonin, relatif aux évènements qui se sont produits au XIXème siècle à L’Arbresle et recopié par M Pierrefeu, il a été retrouvé ce témoignage riche en détails de l’arrivée et de l’occupation autrichienne en 1814, à L’Arbresle. La partie la plus surprenante concerne le danger qu’a encouru la ville suite à l’agression de deux soldats autrichiens d’occupation.

Remettons-nous dans le contexte de l’époque : le passage des armées autrichiennes nous ramène deux cents ans en arrière à la fin des campagnes napoléoniennes. De juin à décembre 1812, Napoléon entreprend la campagne de Russie avec une avancée française rapide jusqu’à Moscou que la Grande Armée occupe le 14 septembre. La réaction patriotique des russes, les pertes déjà subies lors de l’avancée, les difficultés de ravitaillement dues aux distances entraînèrent la fameuse et terriblement meurtrière retraite de Russie. Les opérations contre la Prusse l’Autriche et la Russie reprirent au printemps 1813, mais après quelques victoires françaises, ce fut l’effondrement à Leipzig du 16 au 19 octobre, puis la revanche des troupes alliées contre un empire moribond… De janvier à mars1814, la campagne de France voit la France envahie par les coalisés. Autrichiens, Prussiens et Russes occupent le pays après l’abdication de Napoléon, le 6 avril 1814.

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L’Arbresle à cette époque, selon une estampe de Constant Bourgeois (1767-1841) édité en lithographie par F. Delpech

Récit de P. A. Gonin

Dans les infortunées années où la patrie fut envahie par les ennemis, en 1814 et 1815, la ville eu à loger un assez grand nombre de soldats autrichiens. Les premiers ennemis qui s’y présentèrent furent des éclaireurs détachés d’un bataillon de chasseurs à cheval cantonnés précisément au château de Bel Air à Fleurieux-sur-L’Arbresle appartenant à M. de Valous. Ils arrivèrent à L’Arbresle au nombre de quinze ou vingt ; c’était un dimanche et il était venu au chef-lieu beaucoup de personnes pour les y voir entrer car le bruit s’en était répandu. Parmi les gens qui étaient accourus se trouvait un habitant de Sain Bel nommé Cany, ancien militaire amputé d’un bras. Le patriote indigné s’écriait que c’était une honte de laisser une poignée d’ennemis se rendre maître de la ville lorsqu’il serait si facile de les tuer Les assistants étaient sans arme et au reste dans l’impossibilité absolue de se défendre ; des gens plus réfléchis cherchèrent à le calmer, à lui faire comprendre l’insanité d’une résistance isolée qui amènerait des désastres sur la ville, sans résultat aucun sur l’ennemi. Au surplus lui dit-on, vous en aurez à Sain Bel, organisez-y une résistance en acceptant toutes les conséquences qu’elle pourra entrainer mais ne faites pas du patriotisme sur le dos du voisin. Etait-ce le bon sens, était-ce de la couardise, mais ce conseil fut écouté.

Devant l’air morne et hostile des assistants, les cavaliers ennemis montèrent à cheval et firent une charge à fond de train sur eux dans les rues de L’Arbresle, dispersant et faisant fuir les rassemblements. Dans cette charge un nommé Bachelard de L’Arbresle reçut un coup de sabre qui lui enleva un bout de l’oreille et lui fit une entaille sur la nuque ; un sieur Berne de Nuelles eut également le bout du nez coupé par un coup de sabre, enfin un coup de pistolet  fut tiré sur la porte de la maison Pelletier (immeuble à côté de l’hôtel du Lyon d’Or)[1].

Il n’y eu pas d’autres accidents[2], on les calma en leur disant qu’il ne pouvait être question de résistance même si on les voyait venir avec la plus profonde douleur.

Le maire qui était M Desprez avait été tenté de s’esquiver et qui avait été descendu de cheval par des habitants le forçant à rester à la tête de l’administration qu’il ne devait pas abandonner, quoique appartenant au parti royaliste, fut rudement cravaché par un officier autrichien ; il dut subir cet outrage sans se plaindre. Le lendemain, les autrichiens vinrent nombreux et furent logés chez les habitants où tel en avait huit ou dix qu’il devait loger et nourrir. Ils ne se comportèrent pas trop mal, dans les deux invasions de 1814 et 1815 ; l’état-major logeant toujours à L’Arbresle leur imposait le respect des personnes et des propriétés…

Ils ne pillèrent pas, maltraitèrent peu en général les habitants ; la femme de l’adjoint M. Charrassin qui trouvait mal qu’un soldat étranger prit à table la place de son mari, reçu un coup de baïonnette dans le ventre, qui ne l’atteignit pas  mais lui causa une frayeur telle qu’elle se mit au lit pour ne plus se relever. Quelques horions furent reçus, quelques femmes maltraitées[3].

Un fait regrettable de leur présence, c’est le feu qu’ils mirent aux archives de la ville déposées dans un appartement du château et qu’ils firent brûler pour se chauffer. On ne retira à peine quelques débris qui furent au reste dispersés.[4]

Il ne se passa près de L’Arbresle aucun fait d’arme quoique le pays restât occupé pendant longtemps par les troupes autrichiennes. Lyon s’était rendue et les troupes d’Augereau ayant à peine  fait quelque semblant de résistance dans les plaines de l’autre côté de La Tour de Salvagny et Vaise[5].

""  Le maréchal Charles Pierre François Augereau, duc de Castiglione

Un corps de croates campa sur les bords de la Turdine. Ces gens malpropres, oints de suif, sentant  horriblement mauvais, y changèrent les effets qu’ils portaient et en laissèrent les débris tellement infects,  que la municipalité  dut les faire enfouir pour éviter le typhus qu’ils trainaient avec eux.

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Il y eut dans les contrées voisines bien des meurtres isolés de soldats autrichiens dit-on surtout à Tarare mais à L’Arbresle on ne parle d’aucun. Cependant cette ville faillit dans les circonstances suivantes être mise à sac et brûlée. Deux ordonnances d’officiers arrivèrent à L’Arbresle conduisant deux mulets chargés des bagages de ces officiers, qu’ils conduisaient à Villefranche. Ignorant la route à suivre, ils demandèrent un guide à L’Arbresle. On leur en donna un nommé Tricaud auquel s’adjoignirent quelques postillons de la maison Peillon, hôtelier de la Tête Noire ; M. Peillon ayant fui et abandonné ses services de roulage sur la route à ses gens, se joignirent à eux quelques individus de L’Arbresle et de St Germain. Cette escorte de désœuvrés composée de quinze à vingt personnes eut la malheureuse idée, arrivée dans le bois de St Germain de se venger de l’humiliation de la France sur ces deux soldats ennemis. Arrivés sur le plateau couvert de bois épais alors, on s’empara de leurs armes et on les attaqua avec elles ; on en blessa un qui se sauva dans les bois et put gagner Villefranche ; le second terrassé fut laissé pour mort sur la place et on conduisit à L’Arbresle les deux mulets. Celui que l’on croyait mort ne l’était pas et ce fut heureux pour la ville. Mais ce ne fut pas moins une affaire qui devait avoir un terrible dénouement pour L’Arbresle. Un général arriva à la tête de troupes nombreuses et L’Arbresle condamnée allait être brûlée après avoir été pillée pour représailles. Heureusement Mme la marquise d’Albon, secondée par M. Blanc de Saint Bonnet, avocat, dont la femme était une demoiselle Pignard de L’Arbresle, parvinrent à calmer la colère du général autrichien ; L’Arbresle fut sauvée. Plus tard, M. Blanc de Saint Bonnet reçut la croix de la Légion d’Honneur en souvenir de son intervention. Néanmoins, les sieurs Tricaud et Beillard, dit Breton, furent arrêtés et on allait leur faire un procès et les faire passer par les armes ; Mme la marquise d’Albon parvint encore à leur sauver la vie et ils en furent quitte pour une grave punition qui leur fut infligée. La schlague mit les jours de M. Beillard en danger. M. Finaz, médecin des eaux de Charbonnières et alors médecin de L’Arbresle fut menacé également de supplice pour, allant voir un malade à cheval, être passé devant un général qui suivait la même route, au lieu de rester derrière. Les interventions des dames de la ville, auprès du général courroucé, lui épargna ce cruel et honteux supplice. »

 

Dans l’ouvrage  intitulé « Tableau Historique des évènements qui se sont passés à Lyon depuis le retour de Bonaparte jusqu’au rétablissement de Louis XVIII »  publié en 1815 chez Guyot frère, librairie rue Mercière, n°39, à la page 177 se trouve le témoignage relatif à l’intervention de M. Blanc Saint-Bonnet[6], avocat, décoré par sa Majesté de la Croix d’Honneur, pour avoir sauvé, en 1814 la petite ville de L’Arbresle du pillage et des flammes où elle allait être livrée d’après les ordres des autorités supérieures autrichiennes, dévouement généreux dont le Conseil Municipal de L’Arbresle a témoigné sa reconnaissance à M. Blanc Saint-Bonnet par une délibération publique, fut un de ceux qui, le lundi 6 mars, s’offrirent pour aller combattre l’usurpateur.

 



[1] Père de Claude Pelletier élu représentant du peuple en 1848

[2] Ces jours là

[3]  P. A. Gonin ne donne pas plus de précisions ?

[4] Il s’agit certainement des actes de justice car cette dernière se rendait au château dans une salle appelée l’auditoire. Voir les Arborosa n° 31 et 32 au sujet de la justice des abbés de Savigny  qui était rendue en ce lieu.

[5] P.A. Gonin traduit un peu fort son mépris pour le général Augereau qui, il est vrai ne fut pas à la hauteur de la situation lors de la bataille qui eut lieu sur une ligne de combat s’étendant de Couzon à  Tassin  en passant par Dardilly et la Tour de Salvagny

[6] Joseph-Marie Blanc de Saint-Bonnet (1785-1841) est le père d’Antoine-Joseph voir dans l’ Arborosa n°16 de septembre 2006 l’article intitulé : « un philosophe en Pays de L’Arbresle : Antoine-Joseph Blanc de Saint-Bonnet »

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