Au fil des Ans Les récits et témoignages

Au temps des Fichettes

Résumé

L’Arbresle a de tous temps été liéee au textile. Autrefois la laine, le chanvre, puis le coton. En 1854, la mono-industrie de la soie fournissait la moitié des emplois dans la ville qui comptait alors environs 3000 habitants. Cette période d’activité intense dura de 1815 à  1960, date à  laquelle elle disparut rapidement posant de graves problèmes de reconversion. Nous vous proposons l’histoire de l’une des usines de l’Arbresle, qui présente bien des particularités et représente assez bien l’organisation sociale de l’époque : l’usine Fichet.

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L’usine Fichet

 L’une des plus importantes usines textiles avait pour enseigne "Les Fils d’Aimé Fichet", créée aux alentours de 1877-1878 et qui perdura jusqu’en 1934.Cette usine se situait vers le Gourd des deux Eaux, près du confluent des deux rivières, à l’entrée de notre ville bien que le cadastre la situe sur la commune de Fleurieux-sur-l’Arbresle où maintenant est implanté le magasin LIDL. Elle fabriquait des fils d’or et d’argent pour la passementerie et la guimperie. Les articles tissés ou tressés comprenant franges ou galons voyaient leur utilisation dans l’ameublement, parfois dans l’habillement. Un autre débouché était l’ornementation des autels et la confection des habits sacerdotaux ainsi que des costumes de théâtre. Techniquement, des meules de métal très lourdes, brillantes et polies, écrasaient le fil d’argent, d’or ou d’alliage, en lames plates de 1,5 mm  qui s’enroulaient sur des rotins. L’été il était nécessaire de maintenir l’atelier dans l’obscurité grâce à des vitrages bleutés, afin que les lames ne transpirent pas et ne collent pas. Ces lames étaient ensuite guimpées, c’est à dire enroulées en spirale autour d’un fil de coton, surnommé "courge" à cause de sa couleur, ou d’un fil de soie".

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Il semble intéressant pour les techniciens du tissage d’avoir au moins une idée sur la fabrication des fils plus ou moins précieux qui constituent la parure et l’éclat des tissus dans lesquels ils sont utilisés. Si la mode fait que ces beaux tissus ne sont plus considérés que comme étoffes d’apparat, il n’en reste pas moins un besoin particulier pour la fabrication des vêtements ornementaux religieux ou de théâtre.

Cette industrie est très ancienne ; dans ces temps reculés, le travail des fils précieux était une industrie des pays musulmans. C’est en Orient qu’est née l’idée d’enrouler une fine lame d’or autour d’un fil de lin, de coton ou de soie, et encore actuellement, la majeure partie des fils métalliques employés en tissage découle de cette observation. En France, cette industrie fut prospère sous tous les règnes d’autrefois mais aujourd’hui la disparité des cours, la simplicité des ornements liturgiques ont fait diminuer la production de fils en matière précieuse (or et argent) pour les remplacer par des fils d’imitation…

La vie des « Fichettes »

L’usine avait un fonctionnement spécial. Dirigée par Messieurs Aimé et Pierre Fichet, ces industriels lyonnais ne résidaient à l’Arbresle qu’à la belle saison. On dénombrait 80 à 100 ouvrières, originaires pour la plupart des Monts du Lyonnais et au cours des dernières années d’exploitation, de Pologne. Nourries, logées et blanchies, elles étaient vêtues d’un costume bleu marine, identique pour chacune avec des robes sombres, et des chapeaux de feutre l’hiver et de paille l’été. Elles étaient encadrées par des religieuses, en l’occurrence des Sœurs de Saint Joseph. La journée était très réglementée : lever à 6 heures, messe, petit déjeuner accompagné de prières. A l’atelier dès 7 h 30 elles travaillaient jusqu’à midi et de 13 h 30 à 18 h. Elles s’exerçaient ensuite à la couture avant de prendre le repas du soir suivi d’une récréation qui précédait l’extinction des feux, aux alentours de 20 h 30.

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Le dimanche, seul jour de repos de la semaine, celles qui ne pouvaient rejoindre leur famille assistaient le matin aux offices à l’église St Jean Baptiste de l’Arbresle et l’après-midi,  prenaient part aux distractions organisées par les religieuses c’est à dire des promenades, répétitions musicales ou théâtrales.

 

Témoignage

Voici un témoignage de Madame Anne Marie Viret née Pérelle qui retrace l’ambiance et l’atmosphère de cette usine :

« J’ai vécu à l’usine Fichet de 1926 jusqu’à sa fermeture. Cette petite société très paternaliste se composait de trois échelons, si l’on peut dire : les patrons Messieurs Fichet et Chatanay, beaux-frères associés, la communauté des religieuses St Joseph, responsables des jeunes pensionnaires et les ouvrières.

Un ensemble de cinq personnes logées sur la propriété et travaillant à titres divers dans l’atelier ou à l’extérieur assurait les services. Mesdames Laurent, Perret, Blanc supervisaient, encadraient et apprenaient le métier aux jeunes ouvrières. Monsieur Vigoureux entretenait les métiers et il avait fort à faire car nombreuses étaient les machines. Monsieur Pérelle (mon père) était le jardinier et l’homme à tout faire : fournir les légumes pour la cuisine, assurer le chauffage central (déjà !) et chaque soir livrer en gare le travail fait à l’usine sur une longue charrette à bras sans oublier l’ouverture et la fermeture des portes de garage quand se présentait la voiture du patron. Ces personnes, avec leur famille, avaient droit  à  la  gratuité du logement  et  à  un  petit  jardin personnel.

Elles pouvaient également – il n’y avait pas encore l’eau courante – profiter des sanitaires, longue salle avec plusieurs baignoires. Les cloisons de verre étaient noyées dans une buée impénétrable. Mais c’était le progrès !

La vie quotidienne était rythmée par la longue cheminée lançant sa "corne" à heures fixes. L’atelier prenait vie, le bruit était infernal et l’on ne s’entendait pas causer. À 18 heures c’était le rire des "Fichettes" (c’est ainsi que l’on nommait les jeunes filles de l’usine Fichet).  Entre 15 et 21 ans, elles avaient besoin de cette modeste récréation.

La vie chez Fichet

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 Outre l’atelier, l’ensemble des bâtiments comprenait deux grandes ailes parallèles : dortoirs, réfectoire, cuisine, préaux et cours, bureaux, sans oublier la partie réservée aux religieuses et la chapelle.

En réalité tous ces gens formaient une grande famille et étaient très solidaires. Les dimanches après-midi étaient très animés. En effet, dans le parc appelé " Le Bois de Boulogne" se trouvaient des jeux de boules pour les hommes. Les jeunes filles jouaient au croquet sous les platanes. La rivière qui longeait la propriété incitait aussi à la pêche. Une des grandes fêtes dont je me souviens fut le baptême de la cloche. Ce jour-là, l’ensemble de la population arbresloise fut invité. Les déguisements étaient légion et la cloche, vêtue de tulle blanc était toute enrubannée. Noël était aussi l’occasion pour les religieuses de montrer leur habileté et l’art de faire des costumes ou d’organiser des saynètes ou des pièces de théâtre. Bref si le travail était pris très au sérieux, l’atmosphère à l’usine Fichet était loin d’être morose pour l’époque et ce paternalisme ne gênait personne. La fermeture en 1933 fut durement ressentie par tous les employés. Le patron accorda la gratuité des logements pendant deux ans ainsi que l’usage du grand jardin, le temps pour tout le personnel de retrouver du travail ; ce n’étaient pas des indemnités de chômage mais c’était mieux que rien ! »

Ce témoignage a été confirmé par Madame Moge née Perret dont la maman est citée plus haut.

Selon Jo Mélèze, le nombre d’ouvrières variait de 90 à 110 lors de la fermeture. en 1933-34 due à la concurrence des producteurs asiatiques et la fermeture du marché de l’Inde. 

Les origines

Pour donner quelques compléments sur l’implantation de l’Usine Fichet, il faut remonter à Claude Lacroix, l’un des premiers maires de l’Arbresle, notaire de son état qui avait été chargé de présenter les cahiers de doléances aux États Généraux de 1789 avec Etienne Peillon. Pendant l’Empire, notre notaire eut l’honneur d’accueillir sa sainteté le pape Pie VII qui se rendait à Paris pour le sacre de Napoléon en 1804. Claude Lacroix s’éteignit à Lyon le 6 août 1812 au domicile de son gendre Jean François Pignard, avoué à Lyon. La fille de Jean François, Marie Claudine dite "Aldine" (1811? + 1876 à Cluny) épousera Joseph Fichet et héritera avec son oncle Alexis Lacroix, notaire à Lentilly, de nombreux biens nationaux que son grand père avait acheté en 1791.

De leur union naîtra Jacques Aimé Fichet (1837-1919), fondateur de l’usine. Il aura cinq enfants, deux garçons et trois filles. L’une d’elles épousera Georges Chatanay et vendra son domaine des Mollières à Madame Inard d’Argence, épouse d’un autre maire de l’Arbresle. Georges Chatanay gèrera avec Joseph et Antoine Fichet l’usine après la disparition de son fondateur. Pour la "Grande Histoire", une autre fille de Aimé Fichet épousera M. Gaston Lepercq, dont le fils Aimé Lepercq, ingénieur au corps des mites sera le ministre des finances du gouvernement provisoire de la République Française du Général de Gaulle de septembre 1944 mais qui disparaîtra tragiquement dans un accident de la route dans le Pas de Calais le 8 novembre 1944.

Ànoter également que Jean François Pignard cité plus haut était le petit-fils de François Pignard, propriétaire de l’Hôtel deus Trois Maures à l’Arbresle.

 

Paul Silvestre

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