Au fil des Ans La petite Histoire Les récits et témoignages

Chronique de Benoit Mailliard – 1ère partie

Résumé

A Savigny on peut se réunir dans une salle qui porte son nom, à la cave de Sain Bel on déguste une bouteille de la cuvée qui porte son nom, quand on se penche sur l’histoire de l’abbaye de Savigny, on nous parle de lui, et même on le fait parler !

Bien sûr vous avez reconnu Benoît Mailllard !

Au XVe siècle il fut grand prieur de Savigny et prieur de Courzieu. Entre toutes ses œuvres sa « chronique » est une source de renseignements sur les événements (grands et petits) de cette époque.  et les problèmes qu’ils engendraient.

C’est  à Georges Guigue  archiviste du Rhône, que nous devons la publication de ce texte en 1883. Il a enrichi sa traduction d’une multitude de notes qui nous aident grandement à la compréhension du texte de Benoît Maillard .

Nous avons essayé d’apporter quelques éclaircissements pour certains termes inusités de nos jours, ou concernant le vocabulaire propre à l’ordre monastique dans lequel vivait notre chroniqueur. Malheureusement nos recherches n’ont pas toujours été fructueuses et c’est avec un réel plaisir que nous accueillerons les propositions de nos lecteurs.

I

Et d’abord, l’an du Seigneur 1461, au mois de Mai, l’armée du roi alla en Lombardie contre les Gênois[1]. Dans cette armée étaient des gentilshommes du Lyonnais, de l’Auvergne, du Vivarais, du Forez, du Beaujolais, du Dauphiné et plusieurs autres du royaume de France, lesquels devant la cité de Gênes, aux environs de la fête de Marie-Magdeleine, furent vaincus, dépouillés et tués en grand nombre.

Mes deux frères, Claude et Pierre, faits prisonniers et relâchés par l’entremise du seigneur de Saint-Chamond-en-Jarez[2], revinrent dans leur patrie avec plusieurs autres nobles du pays, à pied et en simple vêtement. Cette même année, et environ ladite fête de Marie-Magdeleine et au temps de la campagne désastreuse, mourut le bon roi Charles VII[3], aïeul paternel du roi actuel Charles VIII, et de ce jour datent les malheurs du royaume.

II

Charles VII succéda Louis XI[4], roi de France. Sous son règne, et l’an du Seigneur 1464, sous le pontificat du pape Pie II (que j’ai vu à Rome et à qui j’ai parlé), fut organisée une croisade générale, dans presque toute la chrétienté, contre les Sarrazins  infidèles et païens. De cette croisade étaient des ecclésiastiques séculiers et réguliers de tout état et condition et aussi des laïques. De ce pays y étaient entre autres Lancelot de Cordon[5] et Guichard de Montchalvet[6] alors religieux de notre couvent, et mon frère Pierre Mailliard, laïque. Lesdits Lancelot et Guichard, au retour de la croisade, furent réhabilités par le pape Paul ; dans la suite Lancelot devint communier et Guichard prieur claustral de ce monastère. La croisade alla jusqu’à la marche d’Ancône ; le pape Pie II y était aussi avec les cardinaux et il mourut là. [7]. Par cette mort la croisade fut arrêtée et l’armée se dispersa.. Guillaume Dalmez de Saint-Clément-de-Valsonne[8] était à le tête des croisés de ce pays. Ledit pape Pie mourut ladite année 1464, le 14ème jour d’août, et fut enterré au-dessus du premier autel, derrière la première porte de Saint-Pierre de Rome, comme je l’ai vu. Ce pape Pie fit enterrer son père au grand pilier devant le grand autel de Saint-Pierre de Rome et fit ces deux vers :

Silvius hic jaceo, conjux Victoria mecum est .
 Filius hoc clausit marmore papa Pius[9]

III

L’an du Seigneur 1465, au mois de Février, presque tous les princes du royaume se révoltèrent contre Louis XI, roi de France, fils de Charles VII ; ils voulurent le faire prisonnier, mais il s’échappa de leurs mains et se retira à Paris. Le même mois, le jour du dimanche de la Quadragésime, à la dixième heure de la nuit, le seigneur Rauffet de Balsac[10],  chevalier, seigneur de Bagnols, prit Châtillon[11]. Alors, de cette heure à minuit, presque toutes les églises paroissiales du pays lyonnais mirent leurs cloches en branle et sonnèrent des sonneries de guerre[12]. Ledit Balsac était contre le roi et du parti des princes.

IV

Les princes ligués contre le roi étaient : Charles, duc d’Aquitaine[13], frère dudit roi Louis ; Jean, duc de Calabre[14], fils de René, roi de Sicile ; Charles, duc de Bourgogne [15] ; Jean, duc de Bourbon [16] ; Charles, duc de Maine [17], frère dudit roi de Sicile,

Et le fils dudit Charles[18] ; le Bâtard d’Orléans, comte de Dunois[19] ; Jean[20], fils dudit comte ;Jean, comte d’Armagnac et Charles, son frère[21] ; Jean, duc de Nemours[22] ; le duc d’Alençon[23], les comtes de Foix [24], d’Albret[25], le duc de Lorraine[26]et tous les autres princes du royaume, un ou deux exceptés. Etait aussi avec les princes, le comte de Saint-Pol[27], qui fut dans la suite connétable. 

V

L’an du Seigneur 1466, le roi Louis étant à Paris, tous lesdits princes arrivèrent avec de nombreuses troupes devant ladite ville de Paris ; ils avaient environ cent vingt mille hommes d’armes, qui assiégèrent la ville et le roi. Le roi était dans la ville avec les bourgeois et environ dix mille hommes d’armes. Les princes restèrent presque six semaines devant Paris ; mais ayant fait leur paix avec le roi, chacun retourna dans ses terres. Après quoi moururent Charles, duc d’Aquitaine, frère dudit roi ; Jean, duc de Calabre et son fils, Charles, duc du Maine et son fils ; Jean, comte d’Armagnac[28], et plusieurs autres princes.

VI

Mais avant le siège de ladite ville de Paris et du roi Louis, et la mort desdits princes, c’est-à-dire l’an du Seigneur 1465, au mois d’Août, la veille de l’Assomption, le roi Louis et Charles, duc de Bourgogne, qu’on appelait alors le comte de Charolais, en vinrent aux mains avec de nombreux hommes d’armes devant Montlhéry[29]. Des deux côtés, il y eut nombre de morts, et six capitaines royaux tournèrent le dos et fuirent en abandonnant le roi. Le roi se retira alors dans Corbeil. Avec lui étaient les Dauphinois, qui se comportèrent en hommes de courage et le servirent vaillamment.

VII

Chez nous était grande foule de nobles du ban et de l’arrière-ban, tant de la langue d’Oc d’Auvergne que de ces pays. Leurs lieutenants pour le roi étaient les seigneurs comtes dauphin d’Auvergne[30], et de Périgord[31], de Comminges[32], ce dernier gouverneur du Dauphiné, et avec eux ledit seigneur Rauffet de Balsac, qui, retourné au roi, était capitaine de quatre mille francs-archers. C’est sous la conduite de ces quatre capitaines que l’armée fut dirigée sur Saint-Gengoux[33]. Il arriva qu’un jeudi du mois de Mars, l’an du Seigneur 1466, tandis que cette armée était à Saint-Gengoux et ledit seigneur Rauffet avec ses archers devant le château de Bussy[34], au pays de Charolais, survint l’armée des Bourguignons, dont le lieutenant général et capitaine était le seigneur de Couches[35]. Elle se composait d’environ quatorze cents lances faisant un nombre d’à peu près six mille combattants. Le seigneur Rauffet tint tête avec ses archers contre les Bourguignons l’espace d’environ quatre heures, jusqu’à ce que l’armée, qui était à Saint-Gengoux, arriva à son secours, ce qui fit qu’en deux heures à peu près les Bourguignons furent battus par les nôtres et tués presque au nombre de cinq mille. Parmi les morts se trouva ledit seigneur de Couches[36]. Les débris de l’armée bourguignonne dispersés ça et là s’enfuirent où ils purent. Avec le seigneur Rauffet de Balsac était mon frère Jean Mailliard, capitaine des francs archers des pays de Lyonnais, Beaujolais et Forez. Dans le parti contraire, c’est-à-dire des Bourguignons, était mon frère Claude Mailliard, écuyer. Dans la troupe du roi et avec le seigneur de Cursol[37]était mon frère Pierre Mailliard, écuyer.

 VIII

Plus tard, et l’an du Seigneur1470[38], au mois de Mai, ledit duc Charles de Bourgogne et le duc de Calabre, avec un grand nombre de combattants et en grande fureur, s’envinrent devant la cité de Beauvais, l’assiégèrent et se battirent avec rage contre les habitants. Et bien qu’il n’y eut point de gens d’armes du parti du roi dans ladite cité, les habitants, tant hommes que femmes, n’en combattirent pas moins bravement pendant trois jours et trois nuits et résistèrent vaillamment et vigoureusement à la puissance et aux forces de ces ducs, si bien que lesdits ducs ne purent entre dans la ville. Une jeune fille, qui était à combattre sur les murs de la cité avec les autres habitants, empoigna un étendard bourguignon qui atteignait déjà le faîte des murailles, l’arracha et l’emporta[39]. Sur ces entrefaites l’armée du roi arriva au secours des habitants ; mon frère Pierre, écuyer, était dans ses rangs ; les Français combattirent si vaillamment et si vigoureusement les Bourguignons, qu’au bout de six semaines ces derniers s’en retournèrent tout confus.

 IX

 Et d’abord l’an du Seigneur 1472, au mois de Janvier, environ la fête de Sainte Agnès, apparut une grande comète, avec une grande queue de couleur rouge et, à ce qu’il semblait, d’une longueur de trente pieds, venant de l’Orient et tendant à l’Occident ; de là les guerres susdites, la mort des princes ci-dessus désignés. Isidore[40]dans son livre De la Nature des choses,dit, au chapitre De l’exposition des étoiles, que la comète est une étoile qui émet d’elle-même de la lumière en forme de chevelure. Lorsqu’elle apparaît elle annonce, dit-on, qu’un règne va changer, ou que des guerres ou des pestes vont surgir.

L’an du Seigneur 1472, au mois de ….,[41]fut décapité à Paris Jean d’Armagnac, duc de Nemours et comte de la Marche, et au mois de …., l’an du Seigneur 1473, Jean, duc d’Armagnac, fut frappé d’un trait à la gorge par un archer et tué au siège de Lectoure[42]. Dans cette armée était mon frère Jean Mailliard, capitaine des francs archers des pays de Lyonnais et Beaujolais.

 XI

Dans la suite, et l’an du Seigneur 1477, ledit Charles, duc de Bourgogne entreprit la guerre contre le duc de Lorraine [43]. Au jour fixé, devant la Ville de Nancy, il y eut dure et cruelle bataille entre les deux partis. Le duc de Lorraine triompha et mit fin à la guerre par la victoire. Le duc de Bourgogne fut tué et mourut là misérablement. Avec lui finirent les ducs de Bourgogne de cette race[44] .

 XII

L’an du Seigneur 1477, le jour des saints Pierre et Paul, l’avant-dernier jour de Juin, environ la septième heure du matin, il y eut grand tremblement de terre presque  par tout le royaume de France, en Savoie, en Dauphiné, en Provence et autres régions avoisinantes. Il se fit sentir en diverses provinces pendant longtemps et à divers intervalles, et cela après la comète, commencement  des prodiges.

Les astronomes disent, après Isidore, dans son livre De la Nature des choses ,que le tremblement de terre est signe de quelque punition divine et arrive par suite des péchés des hommes et pour les pousser à se convertir, selon cette parole de Mathieu XXXIIII et de Luc XXI : Il y aura des signes dans le soleil et la lune, des pestes et des famines et des tremblements de terre dans le pays. Le tremblement de terre, selon les astronomes et Isidore, dans le livre que dessus, au chapitre Du tremblement de terre, est chose naturelle. Isidore avance, en effet, d’après les sages, c’est-à-dire les philosophes, comme Lucain, Salluste et les autres, que la terre est en forme d’éponge, car elle a des cavernes par lesquelles elle s’imbibe de vent comme l’éponge d’eau ; le vent la pénétrant par ces cavernes s’infiltre çà et là. Quand la terre a ainsi pris du vent  qu’elle en est pénétrée partout, si bien qu’elle ne peut en recevoir davantage, qu’elle en est pleine, en un mot, alors le vent fait entendre des bruits sourds et des mugissements ; la terre remplie de lui au point de ne pouvoir en contenir plus, ou tremble ou se fend pour lui livrer passage et le rejeter. Ainsi, selon les astrologues, le tremblement de terre a lieu quand le vent enfermé dans le sol en est rejeté. Le tremblement de terre est fréquent, même continu, où il y a des cavernes où vient s’engouffrer le vent, comme dans les montagnes et les terres épaisses et grasses ; au contraire, où le sol est sablonneux et ferme, il n’y a pas de tremblements de terre. Et Isidore dit au passage cité, que le bouleversement de la terre est la conversion des hommes à la foi, selon ce passage : Les pieds de l’apôtre restèrent immobiles et la terre de toutes parts fut poussée à croire.

XIII

L’an du Seigneur 1478, après la mort du duc de Bourgogne, le duc Maximilien, appelé roi des Romains[45], allié avec les Flamands, maintint et continua la guerre contre Louis, roi de France, si bien que l’an du Seigneur 1478 la veille de l’Assomption de la Vierge Marie, les Flamands, avec qui était le comte Romont de Savoie [46], se battirent avec rage contre les Français au champ d’Argencourt[47], près Thérouanne ; des deux côtés il y eut grand massacre et grande effusion de sang. Là était mon frère Pierre Mailliard, écuyer  de la troupe du roi et de la compagnie du Moyne Blosset, capitaine de cent lances ; il ne mourut point ici, mais trois mois après, à Béthune, en Picardie. Que son âme repose en paix. Amen .

 XIV

Une pécheresse du nom de Claudine, était enfermée pour ses démérites dans la tour du Chamarier. L’an du Seigneur 1479, le Jeudi 25 du mois de Novembre, environ à la septième heure de nuit, de propos délibéré, elle se précipita du sommet de ladite tour, en sautant jusque sur notre horloge, et de là, en roulant elle vint tomber sur la maison du grand célérier.

Cette femme, en sautant, appela à son aide la Bienheureuse Vierge et le Bienheureux Michel ; aussi n’eut-elle point de membre brisé, mais seulement, pendant quelque temps, elle souffrit d’une douleur de reins, puis guérie, elle vécut de nombreuses années, allant çà et là, où bon lui semblait.

 XV

En l’an du Seigneur 1479 il y eut des insectes, c’est-à-dire grande multitude de sauterelles, de chenilles, de limaces, qui rongèrent et dévorèrent les blés, l’herbe des jardins et des champs, les feuilles, les fleurs et les fruits des arbres. On fit des processions générales, par tout le diocèse de Lyon, chantant laudes, pleurant et implorant ; ces vermisseaux infects furent enfin excommuniés (*) par l’official de Lyon et ils en moururent .

(*) : cette expression  prête à sourire mais en consultant "Une histoire symbolique du Moyen Age occidental" de Michel Pastoureau on apprend que les tribunaux d’évêques pour lutter contre ces fléaux qui causaient la destruction des récoltes, « avaient recours à l’exorcisme et prononçaient parfois contre eux des anathèmes en les maudissant ou en les excommuniant ». Ce terme étant toutefois à manier avec précaution!.)

XVI

Ensuite, l’an du Seigneur 1480, il  y eut un hiver rigoureux, cruel outre mesure et tel que, chez nous, on n’entendit jamais parler de pareil. Du jour de Saint-Jean-l’Evangéliste, troisième jour de la Nativité du Seigneur, jusqu’au mardi 6 Février qui suivit, il y eut sur la terre deux et trois pieds de neige. Sur les montagnes, il y en eut une hauteur considérable ; les oiseaux en volant, les moutons, les agneaux, les brebis, les chèvres mouraient en grand nombre par tout le royaume ; de grands fleuves, comme la Saône, le Rhône, la Loire, l’Allier, la Seine, l’Isère et tous les autres furent tellement gelés qu’il fallut en briser la glace avec de lourds instruments de fer, comme je l’ai vu à Lyon et dans mon voyage à Paris, et à Paris même. Là j’ai vu des chevaux attelés à des voitures chargées traverser la Seine sur la glace, sans plus de danger qu’en terre ferme. Les vignes et les blés furent gelés cet hiver, d’où provinrent les horreurs de la famine et de la peste .

XVII

L’an du Seigneur 1481 et 82, il y eut une famine étonnante et grandement cruelle, si bien que, ces deux années, le froment, à  la mesure de Tarare, du moins la première année, valut trente-six gros, à la mesure de cette abbaye trente-quatre gros et deux francs de monnaie ; le seigle vingt-huit et vingt-sept gros ; l’orge vingt-deux gros ; l’avoine douze gros, les fèves et les pois trente-deux gros ; le bon vin valut trois francs de monnaie, le médiocre deux francs, le plus petit vin tourné et mélangé valut un franc de monnaie. Foule de gens, hommes, femmes, enfants moururent à travers champs ; plusieurs filles vierges, poussées par la faim, se prostituèrent, et pourtant nombre de pieuses gens firent de grandes aumônes, mais elles ne pouvait suffire à la multitude des pauvres .

 XVIII

L’an du Seigneur 1482[48] l’avant dernier jour du mois d’Août, mourut le roi Louis, et Charles VIII son fils, roi aujourd’hui, lui succéda à l’âge d’environ quinze ans [49].

 XIX

 L’année suivante, c’est-à-dire l’an 1483, le froment valut 16 gros, le seigle 12 gros. L’orge 8 gros,  l’avoine quatre gros ; le vin était à prix proportionné.

 XX

 L’an du Seigneur 1484, traversa par l’Auvergne une grande troupe de combattants composée d’environ sept mille hommes et des gens du comte d’Albret, allant de Narbonne, par les rives de la Loire, rejoindre le duc d’Orléans. On les appelait les Verts-Manteaux.

            Puis la paix fut faite entre le roi Charles et les princes et toute querelle apaisée, ce qui fit que le roi Charles épousa la duchesse de Bretagne l’an 1490. Il en eut un fils Dauphin, que nous appelons Charles, et qui mourut.

 XXI

 L’an 1484 et le Mercredi 16 du mois de Mars, il y eut une courte éclipse entre la troisième et la quatrième heure arès midi [50], et le dimanche des Rameaux, 27 du mois de Mars, environ au milieu de la nuit, il y eut grands et violents tonnerres et des éclairs d’une intensité étonnante.

 XXII

 L’année suivante, c’est-à-dire 1485, il y eut un été pluvieux et très froid qui dura de la fête de Pâques, qui fut le 3 Avril, jusqu’au 28 juillet suivant : alors la chaleur se fit sentir jusqu’au Vendredi 5 Août ; il y eut grands tonnerres et grêles violentes. Il y eut aussi cette année, une quantité insupportable de moucherons et d’insectes appelés en français bardanes[51] 

L’an du Seigneur 1485, l’hiver fut très pluvieux, du jour de la Conception de la Vierge Marie jusqu’au jour de Sainte Agathe, 8 Février, et le lendemain de la sainte Agathe le froid commença à sévir, et le vent du nord souffla âprement pendant dix-huit jours. Le froid dura jusqu’à la fin d’Avril. Et cette année, pendant l’Avent, monseigneur Charles de Bourbon, cardinal-archevêque de Lyon, fit son entrée dans la ville. [52]

 XXIII

 Le Dimanche 24 du mois d’Août, veille de l’Assomption de la Vierge Marie, l’an 1485, la très glorieuse Vierge Marie fit en ce lieu de Savigny et dans la maison de Jean Caloys, hôte de Saint-André, un pieux miracle. Un nommé Jean Berrard, de la paroisse de Saint-Loup de Dareysé[53] alors domestique dudit Jean Calois, maintenant marié à Jeanne la Tarrallione, allant puiser de l’eau, à la huitième heure du matin, dans le puits dudit Calois, y tomba la tête la première. Le puits avait d’eau une profondeur de sept aunes. Mais le jeune homme, en tombant dans le puits, invoqua la Vierge Marie honorée dans la chapelle de Clévy, et à l’aide de la Vierge, il releva la tête et la maintint au-dessus de l’eau. Il resta ainsi pendant une heure environ, il ne but point d’eau et fut retiré vivant et sain et sauf de ce puits qui était fort étroit.

 XXIV

 L’an du Seigneur 1484, 85, 86, 87 et 88 les princes se soulevèrent de nouveau contre le jeune roi Charles, et tant en 1486 qu’en 1487 lesdits princes, c’est-à-dire le duc d’Orléans [54], le comte d’Albret[55]et le comte de Dunois [56] le prince d’Orange[57] et plusieurs autres se retirèrent en Bretagne où le roi Charles les poursuivit. Enfin, le 19 du mois de Juillet 1488, à St-Aubin en Bretagne [58], Français et Bretons en vinrent haineusement aux mains ; le duc d’Orléans et le prince d’Orange furent pris par les Français dans l’armée ennemie.

 XXV

 Et l’an du Seigneur 1486, l’été fut sec et improductif ; il y eut peu de blé, mais les blés des années précédentes restaient en abondance et suffirent au-delà des besoins du peuple. Il y eut cette année un hiver très rigoureux pendant environ dix semaines, et autour de la fête de la conversion de saint Paul le froid cessa. Il y eut une grande chaleur pendant le mois de Février. Le froid se prit à sévir au commencement de Mars et il y eut des brumes, des rosées et de la grêle jusqu’au milieu du mois de Mai.

 XXVI

 L’avant dernier jour du mois d’Avril l’an du Seigneur 1487, un certain Jean, cordonnier et voleur, réfugié en cette ville de Savigny et enfermé dans la prison du Chamarier à la requête d’une pauvre femme de St-Clément-de-Valsonne qu’il avait volée, voyant que les sergents du Chamarier allaient le livrer aux sergents de St-Clément pour subir, à cause de ce vol, le dernier supplice, c’est-à-dire pour être pendu, se recommanda à la Vierge Marie et, pliant les grosses et épaisses barres de fer de la porte de la tour du Chamarier,  brisant à l’intérieur le dessous de la porte, s’échappa de la prison et se réfugia dans notre église, au vu de plusieurs des religieux ; ainsi par le secours de la Vierge Marie il s’échappa des mains de la justice et fut sauvé.

 XXVII

 L’an du Seigneur 1487, les jours de Mercredi, Jeudi, Vendredi, 16,17,18 Mai, il y eut de violents tonnerres et d’impétueux ouragans, si bien que les blés des montagnes, par toute la paroisse de Saint-Jean-de-Panissières[59] jusqu’à Amplepuis[60], furent ravagés et perdus .

XXVIII

 L’an du Seigneur 1487, l’avant dernière semaine du mois de Mai, passa par la ville de Lyon, en grande pompe et en grand appareil, l’ambassade du roi de Hongrie[61], composée d’environ deux cents chevaliers qui se rendirent auprès du roi de France.

 XXIX

 Au mois d’avril 1487, des coureurs du parti des princes se portèrent, au nombre d’environ cinq mille cavaliers, dans la forêt de Malesherbes  près d’Etampes [62], pour tenter d’enlever le jeune roi Charles qui devait y venir se distraire ; mais le roi, par une inspiration divine, n’entra pas dans le bois et échappa ainsi aux mains des coureurs.

 XXX

 L’an du Seigneur 1488, l’été fut au commencement pluvieux, et du commenc-ement du mois de Juin jusqu’à la fête de saint Jean-Baptiste, il fut sec et aride. La veille de la saint Jean-Baptiste il plut et la pluie dura pendant trois jours. Il y eut peu de foin ; le vin valut au mois d’Août 26 gros, puis il valut 28 g. Cette année, les vendanges furent fort abondantes et les vins verts. L’hiver, aux environs de la Nativité du Seigneur,  fut doux et tempéré. Le vent souffla cet hiver ; la neige tomba vers le milieu de Février et dura pendant sept jours ; la moitié du mois de Mars fut nuageuse, du jour de Saint-Benoît jusqu’à la fin ; du moins les montagnes nous environnant furent couvertes de nuages. Le mois de Mars fut sec ; Avril et Mai furent pluvieux et humides ; Mai fut froid et la toux régna sur les gens .

 XXXI

 Le lundi avant dernier jour de Mars 1488, Charles, duc de Savoie, entra à Lyon en triomphe, avec foule de nobles de Savoie[63], et le Jeudi suivant il traversa l’Arbresle pour se rendre auprès du jeune roi Charles VIII .

 XXXII

 L’an du Seigneur 1488, mourut révérend père en Dieu, monseigneur Charles de Bourbon, cardinal, archevêque de Lyon [64]. A sa mort, messeigneurs le doyen             et les chanoines de l’église de Lyon élirent comme archevêque monseigneur Hugues de Talaru[65], archidiacre de l’église de Lyon, mais monseigneur André (d’Epinac)[66], cardinal, obtint cet archevêché du pape Sixte [67]. Le roi Charles maintint et favorisa ledit seigneur cardinal, si bien que le pape cassa l’élection de monseigneur l’archidiacre et monseigneur le cardinal fut mis, à main armée, en possession réelle dudit archevêché, le Samedi 4 Mai de l’an du Seigneur 1493[68], par monseigneur l’évêque d’Asti et Claude de Ribaudange, chevalier, ses commissaires et procureurs .Monseigneur Antoine de Châlon, évêque d’Autun, qui avait la régale de l’archevêché dans la ville, était alors à Lyon. Ledit évêque, avec certains chanoines et un grand nombre d’arbalétriers, se réfugia dans la maison archiépiscopale et en ferma les portes. Il voulait résister aux forces et aux commissaires du roi, mais les commissaires avec les citoyens et habitants de Lyon l’emportèrent et brisèrent les portes. Là fut tué un laboureur et deux autre de Lentilly furent pris. Il y eut grand tumulte et échanges d’injures de part et d’autre [69]

XXXIII

 Et l’an du seigneur 1488, il y eut très peu de foin et le vin valut, au mois d’Août, au  pays de Lyonnais, 26 gros, puis  28. Le vendredi des Quatre-temps de Pentecôte, qui fut le douzième jour de Juin, entre midi et la sixième heure après midi, s’abattit une terrible tempête, qui, en plusieurs endroits de ce pays de Lyon ,détruisit beaucoup de vignes et de blés. Cette tempête dura pendant cinq heure et au-delà, reprenant par intervalles. La foudre aussi tomba en plusieurs endroits et tua plusieurs hommes, un à Chevinay, de la maison des Combetz, au Bois-d’Oingt, à Lissieux-sur Chasay, à Reyrieux au pays de Beaujolais[70], et en plusieurs autres  endroits. Ce jour-là la foudre tua plusieurs hommes, bœufs et vaches. Et  le Lundi 27 du mois de Juillet qui suivit, à l’heure de vêpres environ, s’abattit encore une terrible tempête avec un vent furieux ; elle tomba sur les montagnes de Montrotier[71], de Saint-Jean-de-Panissières [72], de Saint-Clément-les-Places [73], de Villechenève[74], de Chambost[75], de Longesaigne [76]et lieux voisins, et vint par les maisons des Mailliard de la paroisse d’Ancy [77]. Il tomba de grosses pierres, environ de la grosseur du poing d’un homme,

Nombre de maisons s’écroulèrent, de gros arbres furent arrachés et brisés par le milieu, les meules de blé furent emportées et tout le blé restant à moissonner fut détruit ; enfin, jamais, de mémoire d’homme, une telle tempête ne s’abattit et jamais tel ouragan souffla sur ces pays

 XXXIV

 Le Mercredi 9 décembre 1489, le vent souffla toute la nuit. Le lendemain Jeudi, il plut abondamment. Le Vendredi et le Samedi suivant, le vent du nord reprit impétueux .

 XXXV

 Le Lundi 1er Mars, l’an 1489, entre la neuvième et la dixième heure du matin, il y eut un grand et terrible tremblement de terre dans les pays d’Auvergne, de Savoie, de Bresse, de Dauphiné  et autres provinces voisines, si bien qu’en Auvergne le château de Pontgibaud [78]fut presque renversé et l’abbaye de Moissac[79]s’écroula sur plusieurs points ; à Billom [80], deux églises tombèrent ; à Clermont [81], à Montferrand [82], à Riom[83]et autres villes de ce pays, il y eut beaucoup de prodiges. Le Samedi 6 Mars, entre la dixième et la onzième heure, il y eut encore tremblement de terre et furieux tonnerre .

 XXXVI

 Le Mardi second jour de Mars, l’an susdit, le jeune roi Charles VIII traversa par cette ville de Savigny, environ à la huitième heure du matin ; il s’arrêta au château de Sain-Bel ; monseigneur Jean d’Albon, abbé de cette abbaye, était alors vivant. Le lendemain, le roi alla à l’Ile-Barbe et y demeura jusqu’au dimanche suivant. Après dîner, à la deuxième heure environ, il fit son entrée à Lyon, en grand appareil et avec une suite nombreuse1 Il y resta jusqu’au lundi suivant, et ce jour, revenant en France, il dîna à l’Arbresle, puis il alla souper et coucher à Tarare .

 XXXVII

 L’an du Seigneur 1490, l’armée du roi alla en Bretagne [84]au mois de Juillet  et d’Août ; alors Rauffet[85] de Balsac, fils de feu monseigneur Rauffet de Balsac, seigneur de Châtillon et de Bagnols, vint se joindre au roi avec sa troupe se montant environ à cinq cents hommes, et il mourut là, audit mois d’Août.

 XXXVIII

 Le roi Charles VIII vint de nouveau à Lyon et s’arrêta à Bagnols le vendredi qui fut l’avant dernier jour d’octobre de l’an 1490 ; le lendemain il alla dîner à Lyon[86], et le 4 Novembre suivant Il partit en pèlerinage à Notre-Dame-d’Embrun, au pays de Dauphiné. Et cette année le bon vin valut trente-six gros et deux francs de monnaie, le froment 8 gros, le seigle 6 gros.

 XXXIV

 L’an 1490, environ le Dimanche de Quinquagésime, qui fut le Dimanche treizième jour du mois de Février, le fleuve de Saône fut d’une étonnante largeur, hauteur et impétuosité, et tel que jamais, de mémoire d’homme, on ne l’avait vu ainsi. Ledit fleuve monta presque sur le pont de Lyon, si bien que, de toutes parts, les eaux, leurs remous et leurs vagues passaient sur le pont. Le fleuve était si fort et les flots avaient un courant si impétueux qu’une des piles du pont, du côté des Changes[87], fut presque démolie et rompue. La Saône était si large qu’elle s’étendit jusqu’à la grande rue allant à Vayse, aux hôtels  du Chapeau-Rouge et du Porcelet[88], si bien que ceux qui voulaient aller dans le quartier, ou le traverser jusqu’à l’auberge du Porcelet, devaient traverser la rue sur un petit bateau et y naviguer. Nombre de maisons et de villages, de Mâcon jusqu’à Lyon, s’écroulèrent ça et là de fond en comble ; les mobiliers des maisons, les ustensiles, d’innombrables tonneaux pleins de vins furent emportés ; à Lyon plusieurs maisons furent enlevées ; le jardin de monseigneur le cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon, et la maison de la Rigaudière[89] appartenant à monseigneur de Balsac, furent à moitié emportés, et la maison neuve du chanoine d’Ars contiguë à la maison archiépiscopale et sise devant les prisons de l’archevêché, fut à moitié détruite.

Deux pieux miracles se produisirent sur le fleuve. Voici le premier : Un enfant inconnu qui se trouvait dans une cuve fut emporté par le courant de flots rapides et impétueux jusqu’au milieu de la Saône ; il tenait d’une main une petite cuillère ; la cuve surnagea et quand elle traversa sous le pont de Lyon, par la protection divine de la glorieuse Vierge Marie, invoquée par ceux qui se portaient au secours, l’enfant fut recueilli et retiré de l’eau sain et sauf. Le second : un marchand amenait par la Saône, de Vimy à Lyon, dans un grand bateau, une grosse provision de poissons ; devant les Augustins le bateau aborda mais par suite de l’impétuosité des flots et de la rapidité du courant, les bateliers ne pouvaient ni l’arrêter ni le diriger à leur gré. .Emporté, le bateau flotta sans gouvernail avec ceux qui étaient dedans jusque sous le pont ; alors sur le pont de Saône accourut une grande foule de peuple qui, avec ceux du bateau, implorait à haute voix Dieu et la très glorieuse Vierge. Soudain le bateau, de lui-même, s’arrêta sous le pont et se retournant remonta le fleuve depuis ledit pont jusque devant les Augustins par l’aide de Dieu et de la bienheureuse et très glorieuse Vierge Marie ; il remonta en droite ligne à l’encontre de flots furieux, il atterrit devant les Augustins, s’arrêta et resta immobile ; le patron du bateau, le marchand et ceux qui étaient avec eux pour transporter les poissons, abordèrent au port de salut sains et saufs. Gloire à Dieu et à la bienheureuse et très glorieuse Vierge Marie dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 XL

 Et l’an susdit, c’est-à-dire 1490, et le jour du premier Dimanche de carême, qui fut le 20 du mois de Février, le matin, entre la septième et la huitième heure, un homme et une femme de la ville de Lyon, coureurs de grands chemins, étranglèrent un jeune homme aux Brosses de Marcy,[90]au lieu appelé vulgairement à l’Etang des Brosses 

 XLI

 L’an du Seigneur 1490, l’hiver fut rude et dura, en ce pays, de la fête de saint Martin jusqu’au premier jour de Février qui suivit. La veille de saint Thomas, apôtre, la neige tomba en abondance jusqu’au premier jour de Février ; alors les rudes gelées et les neiges abondantes commencèrent à diminuer ; pourtant tout le mois de Février fut froid, si bien que les laboureurs ne purent travailler ni soigner les vignes. Cette année la Saône fut d’une étonnante hauteur et largeur, comme je l’ai dit plus haut .

 XLII

 L’an du Seigneur, 1491, le jour de Marie-Magdeleine, religieux Guillaume Morret, grand-sacristain de ce couvent, à la troisième heure après minuit,  tandis qu’on chantait matines au monastère, en compagnie d’un jeune homme, bâtard de noble Claude de Verneuil, sortit de l’abbaye, avec deux chevaux, pour aller en Forez. Stationnant au pied de Montrotier, ils furent surpris par d’impétueux éclats de tonnerre, une éclipse, des éclairs effrayants, la foudre et une pluie abondante. Aussi le sacristain et le jeune homme s’abritèrent-ils sous une maison neuve appartenant à un nommé Reynorard de Montrotier. Là s’étaient déjà réfugiées plusieurs personnes. Tandis qu’ils attendaient, la foudre tomba soudain et frappa de mort subite ledit sacristain et le jeune homme ainsi que leurs chevaux. Tous les autres assistants demeurèrent sains et saufs. Le sacristain et le jeune homme furent enterrés dans notre cloître, dans le tombeau de frère Mathieu Grigneu, du côté du réfectoire, devant le tableau du Jugement.

–Qu’ils reposent en paix. Ainsi soit-il .
–Que le Seigneur nous préserve de la foudre et de la tempête .

XLIII

 L’an du Seigneur 1491, les mois de Mars et d’Avril furent secs, arides et froids, et cinq jours d’Avril, du 16 à la veille de saint Georges, furent chauds. La veille de saint Georges, le vent du nord se mit à souffler et dura jusqu’au cinquième jour de Mai .Il fut si froid que la nuit  de l’Invention de la Sainte Croix et la nuit de ce jour, les noyers et les vignes furent entièrement gelés dans presque tout ce pays de Lyonnais, de Beaujolais et de Forez. Mai fut sec et à la fin très froid, et le 2 juin,qui fut la fête du Corps du Christ, le froid sévit âprement et il tomba une grêle très froide. Du jour de saint Claude jusqu’à la fin du mois, Juin fut sec. Le premier jour de Juillet il commença à pleuvoir et il plut assez abondamment. De la fête de Marie-Magdeleine jusqu’à la fête de saint Martin d’hiver, l’été fut sec et aride ; et l’hiver également, de ladite fête de saint Martin d’hiver jusqu’après la Circoncision du Seigneur, fut sec et doux ; si bien qu’aux environ de la Nativité du Seigneur le temps était doux, et de ce jour le mois de Janvier fut pluvieux. Le dernier jour de ce mois, il y eut une grande éclipse de nuit entre septième et la huitième heure ; il ne fit ni tonnerre ni éclairs, mais le temps était serein et très froid. La veille de saint Mathias, la neige tomba mais ne dura pas. Il y eut bissexte. Mars fut au commencement âpre et froid ; ce temps dura dix jours, et jusqu’à la fin il fut très tempéré et même chaud. Avril fut au commencement bon, mais le vent souffla .

 XLIV

 L’an du Seigneur 1491, le roi Charles VIII épousa la duchesse de Bretagne, au mois de Décembre [91].

 XLV

 L’an du Seigneur 1492, le jour de Pâques fut le 22 Avril. Mai fut froid et chaud ; Juin fut assez pluvieux ; Juin et Juillet furent chauds, de même Août et Septembre. Cette année fut féconde et fertile en toute sorte de biens. Les fêtes de Noël furent froides et Janvier aussi ; Février fut sec et chaud, de même Mars.

 XLVI

 L’an du Seigneur 1493, le jour de Pâques fut le 7 Avril. Les fêtes pascales furent douces et tempérées. Le mois de Mai fut sec et aride, et le lundi 13 mai, qui fut le jour des Rogations, il y eut étonnant et effrayant tonnerre, environ la première heure après midi, et de ce jour jusqu’à la fête de Saint-Jean-Baptiste, il y eut des pluies abondantes. Six jours avant la fête de Saint-Jean-Baptiste, jusqu’au jours de la Décollation du même saint, l’été fut étonnamment sec, lourd et brûlant ; jamais, de mémoire d’homme, on n’en vit pareil ; il n’y eut ni pluie, ni tonnerre ni éclairs.

Quantité d’animaux moururent à cause de la sécheresse, tous les ruisseaux et nos rivières furent desséchés ; ceux qui voulaient faire moudre leur blé le conduisaient à Lyon.

La maladie que nous appelons gleve sévit fortement, si bien que foule d’hommes, de femmes et d’enfants moururent de cette maladie, tant dans la ville de Lyon que dans le pays. Audit jour de la Décollation, il plut assez abondamment pendant une heure, de là, avec des alternatives journalières, la pluie continua jusque vers la fête de Saint-Denis, martyr. Les vendanges furent médiocres, tant à cause de la sécheresse de l’été qu’à cause de la grande violence du vent, qui se maintint pendant trois jours vers le commencement du mois de Septembre et détacha nombre de raisins des ceps de vigne. Au Mont-d’Or,au Bois-d’Oingt et autres vignobles de ces pays, les vendanges furent assez bonnes. Le Dimanche qui fut la veille de la Saint-Simon et Jude, la neige tomba abondamment et cela pendant presque deux jours .

De la fête de la Toussaint jusqu’à l’Avent, il y eut abondance de pluie, et l’Avent fut froid. Les fêtes de Noël furent douces et sèches jusqu’au jour de saint Sébastien, et ce jour la neige tomba jusqu’au jour de saint Vincent pendant tout le jour et la nuit. En terre plane, la neige avait environ trois pieds de haut ; sur les montagnes, elle atteignait une hauteur étonnante ; elle resta sur le sol jusqu’au 21 Février suivant. Pendant tout cet hiver, jusqu’au 5 du mois d’Avril, les rivières furent grosses et impétueuses.

XLVII

 L’an du Seigneur 1493, au mois de Mars, avant Pâques, le roi Charles VIII et la reine, son épouse, vinrent à Lyon[92].

Et ils restèrent jusqu’au mois de Juillet suivant. Il y avait dans cette ville de Lyon  presque tous les princes du royaume avec le roi ; on fit des tournois et des combats singuliers, tant au mois de Juillet qu’au mois de Mai .Et dans la ville de Lyon fut décidé le voyage fait à Naples par le roi. Au mois de Juillet, l’an 1494, le roi alla de Lyon à Vienne, et de cette ville prit la route de Naples ; la reine avec monseigneur le duc de Bourbon et madame la duchesse, son épouse et sœur dudit roi, qui étaient à Vienne avec lui, s’en retournèrent à Moulins, où ils sont encore avec la chancellerie royale, attendant l’heureux retour et l’arrivée du roi. Avec le roi, il y eut grande foule de princes, de grands, de nobles et de gens d’armes du royaume de France. Ils étaient environ, tant par terre que par mer, au nombre de cent mille hommes : (sur mer il y avait trois mille six cents hommes d’armes.) 6,200 archers, 8,000 arbalétriers, 8,000 Bretons à longues piques, 8,000 artilleurs, 1 060 grosses pierres, 1,200 canonniers, 6,200 bastardeurs, 200 maîtres d’artillerie, 600 maîtres charpentiers, 300 abatteurs de murailles, 1, 100 maîtres pour pierres de fonte, 200 maîtres pour faire le charbon, 120 maîtres pour faire les cordages, 8,000 chevaux pour les charrois d’artillerie, 4,600 charretiers.

Le capitaine de mer était le duc d’Orléans[93], le comte d’Angoulême[94], le duc de Nevers[95], le comte de Boulogne[96], le grand bâtard de Bourgogne, le maréchal de Bourgogne, le grand bâtard de Bourbon, e gouverneur de Champagne, le gouverneur de Bourgogne avec leur suite qui est de 15,000 combattants. Les gentilshommes de Gênes 4,000, les gentilshommes de Normandie  4,000, les gens de la garde de monseigneur d’Orléans et vivandiers 2,000. –Grands navires 24, grandes galéaces 800, caraques 1,100, galères coursières 2,026, galères à voile 50, galéaces à voile 289, brigantins 60, fustes 80, en cela non compris les barques qui sont sans nombre .

 XLVII bis [97]

 Le roi Charles VIII, l’an du Seigneur 1493, la première semaine de carême, qui fut vers la fin du mois de Février,entra à Lyon[98] et avec lui la reine de France[99], monseigneur le duc de Bourbon[100] et madame la duchesse sa femme[101], sœur dudit roi Charles. Le roi et la reine restèrent à Lyon environ cinq mois ; et là furent assemblés tous les princes du royaume, tous les capitaines, foule de barons, de chevaliers et d’autres gentilshommes du royaume de France, grand nombre de prélats, d’archevêques, d’évêques, d’abbés et tous les autres clercs et gens de lois. –Aux mois d’Avril et Mai, l’an 1494, on fit à Lyon, dans les prés de l’abbaye d’Ainay, divers tournois et jeux[102]. –Une peste mortelle, appelée épidémie, commença à sévir au mois de Juin dans ladite ville de Lyon, si bien que le roi, la reine et tous les autres princes en sortirent. Le roi, la reine, messeigneurs les ducs d’Orléans, de Bourbon et la duchesse de Bourbon allèrent à Vienne et de Vienne à Valence en Dauphiné. Au mois d’Août le roi partit de Valence pour aller à Naples.

La même année 1494, avant de quitter Lyon, le roi et tous les princes, grands seigneurs, capitaines, gentilshommes, prélats, ecclésiastiques et docteurs, prirent une décision au sujet du voyage que le souverain devait faire au royaume de Naples. En même temps arriva une ambassade de Milan, savoir : messire Ludovic, oncle du duc de Milan[103], qui fut de l’avis des autres princes français au sujet de cette expédition.

Le roi Charles alla à Naples et y séjourna pendant neuf mois. Il acquit le royaume de Naples et de Sicile, mais au retour et au mois ….[104]

 XLIX

 L’an 1494, le jour de Pâques fut le 6 Avril. Cette année, la veille de saint Georges, le vent du nord souffla âprement, et cette nuit, en plusieurs et diverses paroisses du pays, à Savigny, Bibost[105], Saint-Julien[106], Montrotier[107], Bessenay[108] et autres paroisses voisines, les vignes gelèrent entièrement,  et il n’y eut point de vin ; les blés furent satisfaisants .

Cette année, de la fête de la Toussaint jusqu’à la Nativité du Seigneur, le froid se fit vivement sentir ; il n’y eut point de neige cet hiver. Les mois de Janvier et Février furent doux et secs ; Février en somme fut chaud, les nuits furent froides. Mars fut chaud jusqu’au jour du Mercredi 11 dudit mois. Ce jour, un froid vent du nord commença à souffler et persista jusqu’au jour du jeudi suivant ; la nuit du Jeudi, le Vendredi et le Samedi après, la neige tomba tout le jour et la nuit avec abondance.

Le jour de saint Benoît en Carême, la nuit, le vent du nord souffla âprement, et cette nuit les noyers furent gelés dans tout le pays. Mars, dudit onzième jour de ce dit mois  jusqu’à la fin, fut froid, âpre et intempéré.

L

 L’an du Seigneur 1495, le jour de Pâques fut le 19 Avril ; le mois d’Avril fut assez pluvieux, Mai, Juin, Juillet, Août, Septem-bre furent secs et très arides. Il ne plut pas pendant ces mois, sauf quelques jours, au mois de Septembre. Il y eut cet été abondance de froment et de seigle, mais peu d’avoine. Il y eut du vin en grande quantité. Bien que cet été fut sec, il n’en fut pas moins chaud et brûlant. Dans certains pays, il y eut très peu de et presque point de fruits, pommes, prunes, amandes, noix et semblables ; en Dauphiné pourtant et en Bresse, il y eut abondance desdits fruits .



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