Les quartiers et les propriétés

Domaine de la Tourette – Constitution

Résumé

1 – Un domaine seigneurial originel vaste et mal défini 

Les informations retrouvées sur les premiers seigneurs rattachés au domaine de la Tourette – à partir du XVIe siècle -, sont limitées et imprécises : quelques noms et statuts nous sont connus. L’origine première du fief pose d’ailleurs question. De même, au niveau géographique, il est difficile de délimiter la surface et le contour du domaine initial. Le site de la Tourette n’est pas encore circonscrit par une enceinte. Tout en restant incomplètes, ces données historiques et morphologiques sont essentielles pour comprendre ensuite les aménagements postérieurs.

 ""  Vue générale du château et ses dépendances

a- Une connaissance incomplète des premiers seigneurs 

""  Plan de Trudaine de 1756

Le premier seigneur de la Tourette dont nous avons trace est attesté pour les années 1575-1576. Il est probable cependant que le fief initial soit constitué depuis quelque temps.

D’après L’Atlas historique du département actuel du Rhône la Tourette est notifiée comme un nouveau fief entre 1500 et 1560. Auparavant, et depuis le Xe-Xlle siècle, le secteur semble dépendre de l’abbaye de l’Ile Barbe, alors que l’abbaye de Savigny s’étend sur toute une partie du centre est du Rhône. Tout ceci reste très imprécis, d’autant plus que l’ouvrage ne propose pas de références documentaires. 

Néanmoins, un texte plus tardif donne un éclairage intéressant sur cette situation. Rédigé en 1707, il évoque, par l’intermédiaire d’un conflit entre Jacques Claret et l’abbé de Savigny, la question de l’origine de la Justice d’Eveux. La notion de Justice est directement liée sous l’Ancien Régime à la possession du pouvoir seigneurial.

Le cas présent illustre la confrontation fréquente entre les pouvoirs seigneuriaux laïques et ecclésiastiques. Jacques Claret revendique son rachat antérieur à l’Ile Barbe, alors que l’abbé de Savigny en affirme la possession depuis longtemps. Deux dates sont alors fournies par le texte: 1576 et 1653. Le premier jalon signe le moment où l’abbaye de l’Ile Barbe se sépare de la Justice d’Eveux en la cédant au seigneur de la Tourette – que nous identifions comme étant le seigneur Alexandre de la Tourette -. !! est également fait référence à un contrat « qui établissait parfaitement que lad. Justice d’Eyveux appartenait anciennement aud. Seigneur abbé de l’isle Barbe », ce qui confirme les données suggérées par L’Atlas historique du Rhône. Le jalon de 1653 évoque un décret stipulant l’acquisition de la terre de la Tourette, mais pour lequel « led(it) Seig". abbé de Savigny n’y aurait formé aucune opposition ». Enfin, il est aussi question d’un contrat enregistré chez le notaire Perrichon de Lyon le 25 février 1694 qui devait sans doute authentifier l’acquisition de la Justice d’Eveux par Jacques Claret, tout en rappelant son origine, tel que cela vient d’être présenté. Tout ceci se négocie finalement entre les deux protagonistes par redevances financières (une rente annuelle à payer à l’abbé de Savigny).

Sans apporter de réponses définitives, ce document a surtout l’avantage de mettre en doute le lien avec l’abbaye de Savigny, affirmé dans de nombreux travaux ou articles évoquant le domaine de la Tourette. La carte terriste qui précise l’origine des parcelles de ce secteur n’en apporte pas de preuve, alors même qu’elle présente des possessions de la grande sacristie de Savigny (d’où certainement le rangement de cette carte dans le fonds Savigny). 

Sans pouvoir faire de lien avec l’une ou l’autre de ces abbayes, deux noms sont ensuite connus. Pour le XVIe siècle le nom d’Alexandre de la Tourette est porté sur certaines parcelles de la carte terriste : il s’agit de la «noble et sage personne Mre Alexandre de la Tourette, Conseiller du Roi président de ses monnoyes». Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Bref discours des admirables vertus de l’or potable, paru en 1575 chez l’imprimeur lyonnais Pierre Roussin. Une telle publication rend compte de la position sociale du personnage (ne serait-ce qu’en terme de coût d’impression) et le sujet de l’ouvrage souligne son érudition. Les qualificatifs qui précèdent son nom suggèrent aussi une posture supérieure à celle du propriétaire suivant, Jean Michon. Ce dernier est attesté comme «sieur de la Tourette» en 1652 (aucune source n’éclaire la période intermédiaire et le lien entre les deux seigneurs). II est identifié comme simple «bourgeois de Lyon» et ne semble pas avoir acquis de charges lui permettant d’intégrer la noblesse. Des réclamations financières lui sont d’ailleurs faites en 1671 dans un document stipulant les aveux et dénombrements du «fief de la Torrette». La description de la maison forte acquise en 1681 par les frères Claret évoque une construction en mauvais état que Jean Michon n’était visiblement pas en mesure de mettre en valeur. 

Le rachat du domaine par les Claret marque donc un changement important. Marchands épiciers, «bourgeois de Lyon» comme Jean Michon, et échevins, Jean et Biaise Claret ont les moyens d’investir dans cette propriété et surtout d’offrir les bases d’une ascension sociale à la famille. La descendance de Jean Claret (propriétaire unique dès 1688) rend compte de cette progression, possible à partir de l’acquisition de charges. (cet aspect est plus largement abordé en seconde partie, dans un chapitre évoquant le contexte du développement résidentiel). 

b- Un contour et une surface importante  difficiles à appréhender 

""  Les limites de la propriété

L’appréhension géographique du domaine reste partielle même si certaines sources documentaires renseignent sur la surface des terres possédées par tel ou tel seigneur. 

 Un questionnaire adressé à la paroisse d’Eveux en 1788 chiffre par exemple l’étendue des terres du Seigneur de la Tourette à 500 bicherées, soit 64,65 hectares, ce qui correspond proportionnellement au tiers des terres paroissiales. Une dizaine d’années auparavant, le plan géométral du domaine de la Tourette, daté de 1776, indique cette fois la surface totale du parc qui monte à 767 bicherées, soit 99,1731 hectares. Cette surface s’étend légèrement au-delà de la commune d’Eveux, d’où le décalage avec les chiffres précédents. Par la suite, les actes des ventes rendent compte d’une surface assez constante, contenue globalement à l’intérieur de l’enclos du parc. Entre 1873 et 1883, le domaine est évalué à 76 hectares et 80 ares, et en 1943 à 77 hectares 56 ares et 95 centiares, lorsque la Société immobilière de la Tourette se porte acquéreur. Les matrices cadastrales qui s’échelonnent entre 1830 et 1934 confirment ces chiffres, tout en fournissant des informations sur le contenu du domaine. Elles témoignent d’un souci d’exactitude qui tranche nettement avec l’imprécision des données sous l’Ancien Régime. 

Peu à peu, le visage du domaine semble évoluer. Avant l’édification de l’enceinte qui circonscrit le domaine à une surface chiffrable, les possessions du seigneur sont très étendues, et pas toujours contiguës. La carte terriste illustre bien, pour la fin du XVIIe ou la première moitié du XVIIIe siècle, la juxtaposition des parcelles appartenant à Jacques Claret au château de Sain-Bel, ou encore à la grande sacristie de Savigny. L’évaluation globale n’est pas encore possible à cette époque et les indications en bicherées inscrites sur la carte terriste restent insuffisantes. Le document permet seulement de supposer que le domaine d’Alexandre de la Tourette était déjà vaste, peut-être d’ailleurs aussi étendu que celui des Claret. 

A partir des Claret, l’étendue géographique peut être évaluée différemment, à partir des noms de lieux auxquels le seigneur est rattaché. De nombreux actes notariés stipulent ainsi d’autres fiefs dépendant du seigneur de la Tourette à un moment donné (rapports qui évoluent suivant les différentes générations des Claret). C’est le cas de Fleurieu, Sourcieux, Belair, Montverdun, Le Sonnay (ce à quoi il faut ajouter Eyrieu et le Colombier en Dauphiné). Les Claret ont étendu la surface du domaine et encore davantage leur pouvoir seigneurial grâce à l’acquisition de fiefs. Par ailleurs, tout en étant assez proches, ces lieux délimitent une zone beaucoup plus vaste que le parc actuel. La Tourette n’est donc au départ qu’une localité parmi d’autres (elle possède alors le nom de Montagny) et ne prend de l’importance qu’avec le développement résidentiel du château qui prévaut alors sur la fonction agricole. 

 2 – La structuration du domaine au fil des échanges de terres 

Par définition, un domaine fonctionne sur la base de revenus fonciers déterminés à partir de l’exploitation des terres, où beaucoup d’entre elles sont « louées » (le système de rentes nobles sera défini plus loin). La location de terres aboutit dans certains cas à des ventes ou des rachats, suivant les richesses de chacun et certains rapports de force dans lequel peut jouer le pouvoir local. Les différents actes concernant les Claret montrent clairement leur volonté d’homogénéiser le domaine. 

a- Les informations de la carte terriste 

""  Carte terriste

La réalisation des actes appelés « terriers », sous l’Ancien Régime, répond au besoin d’établir les ressources de chacun, en vue d’évaluer l’impôt. Sans être systématiques et précis comme les cadastres du XIXe siècle, ils rendent compte souvent de données historiques essentielles. Les cartes terristes, qui se multiplient au XVIIIe siècle, synthétisent alors les informations enregistrées par les terriers des siècles précédents (le notaire spécialisé dans cette tâche est aussi appelé par extension notaire «terrier»). Les conflits toujours plus nombreux, comme celui cité entre Jacques Claret et l’abbé de Savigny, motivent la réalisation de ces documents qui permettent de clarifier des situations locales. 

Dans notre cas, il semble que la carte ait été établie au cours de la première moitié du XVIIle siècle et en plusieurs fois d’après les écritures différentes. Le dessin est sommaire et seuls quelques éléments de construction sont suggérés, notamment par une encre rosée bien caractéristique. Le tracé du plan du château sera largement évoqué par la suite. Malgré les imprécisions, l’agencement des parcelles et les voies de circulations se rapportent assez bien aux plans postérieurs. Les repérages géographiques d’une parcelle sont toujours basés sur sa position parmi les autres, si bien que les informations les plus détaillées peuvent être fournies par le texte d’une parcelle adjointe plus que celui de la parcelle elle-même. La comparaison avec le plan global du parc, tel qu’il est connu par la suite, reste cependant partielle, puisque la carte terriste est tronquée pour le secteur au nord-ouest du château. Même si la lisibilité des textes de la carte terriste est très satisfaisante – par comparaison à d’autres documents du même type -, la lecture en est toutefois longue et fastidieuse. Au-delà des quelques commentaires à venir, l’étude des parcelles est donc synthétisée par une carte. Il reste que la datation des dessins est ambiguë. Le texte des parcelles concerne plusieurs dizaines d’années, de 1629 à 1747. C’est donc cette date maximale que nous avons retenue comme repère. 

La carte terriste présente les « rentes nobles » du château de Sain-Bel et du château de la Tourette (titre apposé au dos de la carte). La grande majorité des parcelles est donc liée à l’un ou l’autre des deux seigneurs qui, par leur rang de noblesse, bénéficient d’une redevance sur chaque terre qu’ils laissent exploiter. Ce principe a dû faire l’objet d’un contrat, d’où la référence qui suit normalement le statut de la terre : «Rente du château de la Tourette, Tr (terrier) Cartier fo(lio). 19, 4 octobre 1689 (…)». Concernant les rentes dues à Jacques Claret, la plupart ont été établies au cours de l’année 1689, quelques-unes en 1690 et 1695. La famille Claret a acquis le domaine huit années auparavant. Mais depuis le décès récent de Biaise Claret (en 1688), Jacques Claret est le seul gestionnaire du domaine (par l’intermédiaire de son père Jean Claret). Pour certaines parcelles, le lien avec Alexandre de !a Tourette est établi, lorsque !a terre constituait déjà une rente noble. I! est également possible que des terres sous le couvert d’Alexandre de la Tourette aient été ensuite annexées par la seigneurie de St-Bel, ou que des terres du château de St-Bel aient été achetées par les Claret. Dans certains cas enfin, Jean Michon est lui aussi mentionné, mais comme simple propriétaire: il ne perçoit pas de rentes nobles. 

b- Vers l’homogénéisation du domaine au XVIIIe siècle 

La comparaison de la carte terriste avec le plan géométral de 1776 met clairement en évidence quelles parcelles détenues par le château de St-Bel sont ensuite intégrées par les Claret dans ce qui devient peu à peu le parc de la Tourette. Sans entrer dans le détail des échanges, l’effort des Claret pour se constituer un territoire cohérent est significatif. Parallèlement à la carte terriste, de très nombreux actes notifiant des échanges de terres concernent le Seigneur de la Tourette. Certains relatent des achats, des ventes ou des rentes, d’autres évoquent plus particulièrement la négociation des sources d’eau, indispensables à l’exploitation agricole. Ces actes sont conservés dans les fonds de notaires locaux ou lyonnais avec lesquels la famille Claret avait l’habitude de traiter, tels que les notaires Durand, Dallier, Gayet, Raymond. Or, tous ces documents confirment largement qu’au fur et à mesure de leur installation, les Claret vont contribuer à la constitution d’un domaine de plus en plus homogène géographiquement, et donc plus identifiable à nos yeux. 

Sachant que les Claret de la Tourette ont été seigneurs de plusieurs localités, l’évolution de leurs possessions montre qu’ils ont fait le choix de développer l’une d’entre elles plus particulièrement. Pourquoi avoir choisi le site de la Tourette? Sa position centrale peut l’expliquer. Par rapport à d’autres lieux comme le Sonnay par exemple, la morphologie naturelle présente un vallonnement plus important. La maison forte déjà édifiée offrait peut-être aussi un potentiel supérieur malgré son mauvais état, sans oublier les nombreuses sources et les carrières existant sur place. Le site de Belair aurait pu être également satisfaisant, puisqu’il est doté lui aussi d’une maison forte. Mais la position est moins centrale, par rapport à l’ensemble du territoire seigneurial.  C’est peut-être cette raison qui pousse Jacques Annibal Claret de la Tourelle à concéder la gestion de cette maison forte en 1753, avant de finalement s’en séparer un peu plus tard. 

Dès l’établissement d’une enceinte, le domaine de la Tourette adopte une identité propre en se distinguant physiquement des autres lieux-dits. Non pas que les propriétaires ne possèdent plus de terres hors de la muraille mais les aménagements se concentrent autour du château et les achats effectués hors du parc restent circonscrits aux abords proches de la muraille. Tout ceci apparaît nettement sur la version révisée de 1934 du plan cadastral ancien. En fait, les terres agricoles apparaissent de plus en plus distinctes de la zone résidentielle du parc et du château: l’unité visuelle du domaine seigneurial est directement liée à son développement résidentiel.  

 

3 – La Gestion physique et sociale du domaine 

La structuration du domaine se fait au gré des échanges de terres, suivant la richesse et le pouvoir du seigneur. Elle est ainsi perceptible dans les aménagements successifs, en terme de délimitation des parcelles et de voies de circulation: tout cela a laissé des éléments tangibles et repérables sur le terrain (bordures, allées, murailles…), qui font écho à ce que montrent les cartes et les plans historiques. Ensuite, le fonctionnement seigneurial a permis d’organiser socialement le domaine, en impliquant une hiérarchie et un usage des terres spécifiques. Or, même au-delà de l’Ancien Régime, le propriétaire continue à agir comme un seigneur local.

 Evolution du château de la Tourette

""  Évolution du château au fil des siècles

a- La maîtrise physique de l’espace 

Le site de la Tourette se caractérise par un terrain vallonné, avec un couvert végétal varié. Autant d’atouts justifient l’installation d’une structure seigneuriale à cet endroit, et imposent aussi certaines contraintes. La maison forte a été édifiée sur un des endroits les moins en pente du parc, entre les courbes de niveau 350 et 360 mètres, dans un emplacement bénéficiant déjà certainement d’une variété végétale non négligeable, avant même les aménagements botaniques du XVIIle siècle. 

La première des contraintes qu’il a fallu pallier est sans hésitation l’étendue du domaine, qui implique des accès multiples, internes et externes pour rejoindre les bourgs des alentours. Il faut dissocier les voies qui servaient à accéder au château d’Eveux et aux communes voisines des chemins à usage plus agricole ou d’agrément qui sillonnent le domaine. Les voies de circulation telles qu’elles apparaissent aujourd’hui sont fixées au cours du XVIIIe et XIXe siècles. Certains chemins sont cependant déjà signalés sur la carte terriste, par le dessin global et les textes décrivant les parcelles, et restent encore en usage les siècles suivants. C’est le cas par exemple du chemin rural reliant l’ArbresIe à Sourcieux qui marque aujourd’hui la frontière sud du parc. Il se prolonge en contournant l’ouest du parc par une voie, allant de Sain-Bel à Eveux puis Chazay, qui traverse aujourd’hui le bourg d’Eveux. La route qui permet de contourner le parc du côté nord et nord-est apparaît en revanche à partir du plan géométral de 1776, et la partie sud sur le plan cadastral de 1829. 

Pour la circulation interne, trois voies se révèlent essentielles dès le XVIIIe siècle (d’après le dessin de la carte terriste) et restent fonctionnelles au moins jusqu’au XIXe siècle. Le chemin liant «Montagny à Sourcieux» 38 est conservé comme route d’accès au couvent. Il se poursuit par un chemin jusqu’à un ancien portail, beaucoup moins usité aujourd’hui (non loin du cimetière des Dominicains). Côté nord-est cette voie offre un accès du château à Lévy, une localité proche. Néanmoins, elle n’est plus utilisée après le XIXe siècle. Une nouvelle route plus sinueuse, figurée sur le plan cadastral de 1828, est aménagée à proximité, aboutissant à un portail. Enfin, le chemin « tendant de l’ArbresIe à Sourcieux » donne accès au château en venant d’Eveux ; il aboutit dans l’axe de la cour de service. Mais les aménagements du côté du cimetière au cours du XIXe siècle ont rendu l’accès caduque, d’où rétablissement d’une nouvelle voie, marquée depuis par une maison pavillonnaire en son entrée. La modification de ces voies a permis de supprimer les anciens tracés rectilignes et ainsi de configurer différemment les abords proches du château, dans une orientation plus paysagère. 

Deux autres chemins d’importance sont conservés en continuité : la voie de service qui longe le château du côté ferme et le chemin qui suit le ruisseau jusqu’à l’actuel étang, reliant la Tourette au «moulin de Molly». Cette seconde voie débute au carrefour de la glacière et aboutit à un portail à proximité d’un endroit où la muraille et la route accusent une forte courbe, assez curieuse. L’axe rectiligne tranche nettement avec les tracés curvilignes des chemins qui parcourent la partie boisée du parc. 

Outre les voies de circulation, les limites du domaine sont définies soit par des éléments végétaux, plantés ou hérités d’une morphologie plus ancienne, soit par des structures rajoutées peu à peu. Certaines parcelles de la carte terriste font mention de fossés qui séparent des parcelles. Concernant le parc, des haies cernent les terrains et les voies d’accès. Par la suite, c’est la construction d’une enceinte par les Bellet de Saint-Trivier qui circonscrit véritablement le lieu-dit de la Tourette, formant une distinction entre d’un côté le domaine résidentiel et de l’autre le domaine agricole. 

b- La position seigneuriale 

Le seigneur propriétaire rayonne sur son domaine grâce à la rentabilité de ses terres, d’où l’importance de l’exploitation agricole (point faisant l’objet du chapitre suivant). Différents statuts régissent cette exploitation, suivant le revenu et l’usage des terres, déléguées ou non par le seigneur. Certaines sont gérées directement par le seigneur, qui les fait exploiter par des employés demeurant au château, d’autres le sont par des habitants d’Eveux ou d’un bourg voisin. C’est dans ce cadre qu’entre en compte le principe des rentes nobles défini précédemment. Le seigneur fournit la matière à cultiver en échange d’une redevance. Celle-ci s’estime en valeur financière, en «argen», ou en valeur productive (en «orge», «avoine», «seigle»…), la rente étant fixée préalablement pour chaque parcelle. Voici une définition du domaine seigneurial qui entrevoit à la fois la dimension financière et la dimension politique de la position seigneuriale sous l’Ancien Régime: « Chaque «terre» est formée, d’une part, d’un domaine – l’ancienne «réserve» -, propriété exclusive du «seigneur», soit qu’il l’exploite directement par des corvées domaniales ou par le travail de ses domestiques, soit qu’il l’afferme en fermage ou en métayage; et, d’autre part, du revenu seigneurial des «fiefs» des «vassaux», complétés par la kyrielle des droits honorifiques et des droits de justice, marques suprêmes et clefs de voûte du système seigneurial.». Si nous avons connaissance souvent de ces charges honorifiques, il est difficile de savoir quels bénéfices elles induisent. De même, il n’est pas toujours aisé de percevoir parmi ces charges celles qui correspondent à des fonctions réelles professionnelles, et celles qui sont davantage des rétributions honorifiques. Il reste que le développement du domaine des Claret de la Tourette témoigne d’un enrichissement important (malgré les difficultés financières à la fin du XVIIIe siècle). 

Mais qu’en est-il après la fin de l’Ancien Régime ? Après l’abolition des privilèges, le statut de seigneur n’a plus lieu d’être. Et pourtant le propriétaire conserve une position seigneuriale à travers sa personnalité et sa présence dans la vie locale, communale ou paroissiale. Il y a d’abord la persistance du statut social de rentier. Les Claret se sont révélés déjà en leur temps des investisseurs: les registres de transcriptions et des hypothèques inventorient notamment de nombreuses actions immobilières. Le dépouillement des actes chez le notaire attitré du comte de Murard (office Berloty) fournit une liste importante d’investissements au cœur de sociétés industrielles en développement. Les transactions au niveau des terres se poursuivent aussi, mais sans visiblement le désir d’étendre encore le territoire. 

Enfin, ces différents propriétaires adoptent une position seigneuriale dans leurs investissements locaux. Louis Bellet de Saint-Trivier assure ainsi plusieurs mandats de maire. Il institue par exemple pour lui-même et pour les futurs propriétaires du domaine le principe d’une rente perpétuelle de trois cents francs par an à destination de la commune d’Eveux. Il participe également aux financements de la réparation de l’église, de la construction d’une école publique, ou il concède encore des terrains pour étendre le cimetière communal. Les comtes de Murard et de Chabannes auront également le même rôle, en ouvrant par exemple la chapelle nouvellement agrandie aux habitants d’Eveux. Tous ces éléments anecdotiques reflètent assez bien le comportement social de ces châtelains. 

La morphologie du domaine de la Tourette s’est modifiée au fil de propriétaires, d’abord dans le cadre du régime seigneurial qui impliquait des échanges de terre stratégiques et fonciers (le domaine offrant à la fois la richesse au seigneur et une image garante de son pouvoir), ensuite dans le cadre d’un développement résidentiel autour du château. Finalement, les aménagements successifs ont permis de circonscrire de plus en plus le domaine et d’en révéler la forme et l’identité. Et de fait, quelle que soit l’époque, cette identité est liée à la politique du seigneur qui organise et structure physiquement et socialement l’espace dont il est responsable. Le propriétaire est un seigneur rentier de ses terres dont l’exploitation implique un grand nombre d’agriculteurs locataires et d’employés. Au cœur de ce fonctionnement, l’exploitation agricole est essentielle pour assurer des ressources. Tout en devenant secondaire, cette fonction perdure encore lorsque la fonction résidentielle s’impose.

  

Source : Sylvie Biron – Extrait de « Le domaine de la Tourette à Eveux-sur-l’Arbresle (69)- Maîtrise d’histoire de l’art –Université Lumière Lyon 2 – 2002-2003

 

 

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