Au fil des Ans La petite Histoire

L’Arbresle en 1873

Résumé

Ce texte de Philippe-Auguste Gonin, tiré d’un manuscrit dont le titre est "Coup d’œil sur l’Arbresle" est criant d’actualité. Cent trente ans après sa rédaction, le problème de la sauvegarde du Patrimoine reste entier. Il se plaint de la disparition de demeures remarquables, remplacées par de vulgaires bâtisses.

COUP D’ŒIL SUR L’ARBRESLE EN 1873

Par Philippe-Auguste Gonin

 

La physionomie des vieux quartiers a conservé un peu l’aspect que lui a légué le Moyen-âge à l’Arbresle et nous étonnerons bien des gens en disant qu’elle est fort loin d’avoir gagné depuis. La ville a perdu des habitations riches et élégantes soit par changement de destination, soit par des remplacements ou reconstructions en vulgaires bâtisses de maçons d’où l’art aussi bien que la commodité sont repoussés avec un magistral mépris.

""  Cette reconstitution de L’Arbresle en 1450 a été réalisée par Henri Duchampt, élève architecte, qui présenta sontravail en 1909 au salon de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts et obtint la mention honorable pour le concours du prix d’architecte. Malheureusement, il mourut en 1914 sur les champs de bataille de la "Grande Guerre".

De vieux dessins nous montrent les murs de la ville flanqués d’ouvrages défensifs du temps, fossés, tours rondes à mâchicoulis, herses…etc, près des portes ouvertes dans leur pourtour. Ces ouvrages s’avançaient vers la jonction des deux rivières autour du château fort. Ces murailles, dont la moindre épaisseur était de 1 mètre 50 se trouvaient entourées de profonds fossés remplis d’eaux vives prises à la Brévenne, vers le Martinet ou à la Turdine, un bief du moulin seigneurial, au Montchanin, vers le Bizer1 où ne pouvait parvenir l’eau des rivières; un fossé à sec et des ouvrages avancés défendaient les approches. La grande route, de nos jours, passe sur l’emplacement de ce fossé2.

""  Les fortifications et les portes reportées sur le plan actuel.

La ligne qui suivait les murs de ville, ainsi qu’on les appelle dans la localité, est indiquée par les deux portes qui restent debout, celle du Grand Pan3 et celle de la Voûte4 puis par les fragments de ces murs encore existants, que l’on aperçoit, et ceux qui sont cachés dans les massifs des maisons.

""  Porte du Grand Pan ou de Savigny.

""  Porte de la Voûte ou Bourchanin

En sortant de la poterne des Epies5 et de la rue Tranche-Oreilles6, la muraille servait de terrasse aux maisons Vincent et Lebon, au jardin du presbytère et d’appui à la maison Raymond7, vers la place actuelle du Cheval Blanc8. A cet endroit, elle était ouverte par la porte de la Madeleine ou de Lyon9.

""  Au dessus des restes du mur d’enceinte, à gauche, le presbytère et à côté, la maison à tourelle qui était le fief d’Odieu.

Divisant la maison Laurent10, elle suivait le derrière de l’hôtel du Lion d’Or11, construit sur les anciens fossés, bordait la maison Gonin, divisait celle de Gerbout puis traversait l’hôtel de la Tête Noire12, atteignait, vers le pied du coteau du Bizer, la porte de Savigny ou du Grand Pan.

""  Sur ce plan de 1750, on peut se rendre compte de l’importance de l’hôtel de la Tête Noire, situé entre la rue Centrale et la rue du Marché : en jaune, les bâtiments dont on peut encore, aujourd’hui, voir émerger la tourelle.Les écuries et la cour occupaient une place importante : elles pouvaient accueillir jusqu’à cent quatre-vingt chevaux. A droite, on peut aussi remarquer un petit bâtiment en longueur : ce sont les latrines, nécessaires pour un nombre aussi important de voyageurs faisant halte à l’hôtel.

De là, elle gravissait la petite rampe du coteau derrière les maisons Zacharie, Sauvadet et Favrot13. Sur le revers du Bizer du côté de la Turdine au faubourg Montchanin, elle partageait les bâtiments de l’hôtel de la Couronne14 pour, de là, se souder à la porte de Bourgchanin15, derrière la maison Minjon16.

Ensuite, elle descendait à l’est de la cour du moulin seigneurial et derrière la rue des Planches17 où elle se soudait à une porte ouvrant sur la Turdine, qu’on traversait sur des planches ou passerelle, puis elle suivait la rive droite de la rivière jusqu’au pont Sapéon où elle se reliait à l’enceinte du château.

Il est évident que, malgré l’entassement de la population superposée, juchée dans l’enceinte assez restreinte de la ville, tous ses habitants n’y pouvaient être contenus. Aussi, des faubourgs relativement populeux s’étaient élevés au dehors de son pourtour.

Ces faubourgs étaient remplis de logis, auberges, tavernes et cabarets, pour les muletiers et les voyageurs ils étaient sis au bord de l’étroite route ; dans les parties plus reculées se trouvaient des habitations pour les tisserands et pour les manouvriers de l’agriculture.

 Le plus considérable de ces faubourgs, appelé de Saint-Julien, était situé sur la rive gauche de la Turdine ; il s’étendait jusqu’au quartier dit de Provence ou de Rapynand. Dans ce périmètre venait se croiser et se rattacher à la route de Paris la sente aux pentes abruptes, qui conduisait à Saint-Germain et à Chessy, au pied des versants de deux coteaux entre lesquels coule le ruisselet de la Chana18. Se croisait et se rattachait à la même route de Paris, l’antique chemin de Nuelles, Via Strata, dont on a fait Létra. Cette voie reliait nos vallées avec la vallée d’Azergue et de la Saône.

Un cellier, placé à gauche avant d’arriver à Palma, porte encore le nom de cellier de Létra, cellier de la voie pavée.

""  L’hôtel des Trois Maures.

Dans le faubourg Saint-Julien, plus particulièrement affecté aux logis, on trouvait au quatorzième siècle l’auberge des Trois Maures19, celles du Cygne20 ou du Cygne Blanc, du Grand Dauphin et du Petit Dauphin.

""  Dans le prolongement du Grand Pont, l’hôtel du Cygne et un peu plus haut, celui des Trois Maures.

Bâti en partie sur l’emplacement des jardins actuels, ce faubourg est resté debout jusqu’à l’inondation de 1715 qui en a détruit une partie. Il y existait un petit quai au bord de l’eau et au bord de la route de Paris, où il semble y avoir existé des maisons jusque dans le voisinage du Grand Moulin21.

Sur la rive droite de la Turdine s’élevait les faubourgs de Montchanin et du Bizer. Là est encore debout la vieille habitation de la famille de Valous dont les premiers possesseurs nous sont inconnus, nous n’y avons pas vu d’armoiries, mais ses tourelles indiquent une maison seigneuriale.

Au reste, chacun de quatre principaux faubourgs avait son manoir spécial près duquel s’étaient groupées les humbles demeures des artisans et des manants.

Au faubourg Saint-Julien, c’était celle qui est devenue l’auberge des Trois Maures; au Bizer, c’était l’ancienne maison de Moreillan2223.

La situation de ces maisons nobles en dehors des murailles dénotait qu’il régnait déjà une certaine sécurité lorsqu’elles avaient été construites, elles ne pouvaient donc pas être très antiques.

""  L’ancienne maison des Valous.

Dans le faubourg de Montchanin, jusqu’au Bois de la Brosse et sur la hauteur, au Bizer, près du chemin conduisant à Savigny, se pressaient de petites et pauvres habitations. Un four à chaux existait déjà alors dans ce quartier dont un chemin aboutissait place du Pilori, au bas de la propriété du Moreillon24.

De cette place, vers les cheneviers dits de la Cour25 jusqu’à la Brévenne, on voyait quelques maisons et un moulin  disparu aujourd’hui.

Passé le pont de la Brévenne, on trouvait un logis dit de la Madeleine où l’on recevait une hospitalité payante et en face se trouvait la maladrerie ou xénochodion dont l’hospitalité était gratuite.

"" 

Du faubourg de la Madeleine à la poterne des Epies dont le nom significatif venait d’une échauguette ou guérite, d’où l’on épiait l’ennemi et par où sortaient les éclaireurs, le sol était couvert de masures chétives et misérables, sous la protection des ramparts.   

Près du confluent des deux rivières, mais sur la turdine, on rencontrait un moulin.

Lorsque l’emploi du canon eut rendu peu redoutable les fortifications élevées par l’abbé Dalmace et surtout après les guerres de religion, l’abbaye abénévisa les fossés et terrains qu’elle avait autour des remparts et de nombreux acquéreurs y créèrent des jardinets ; la seigneurie vendit même l’appui sur les murs de ville et c’est ainsi qu’il y en a tant de parties cachés dans l’intérieur des constructions.

Les moulins, plus nombreux que de nos jours, dataient de l’époque des croisades; les croisés en avaient rapporté d’Orient  le mécanisme et dès lors l’usage des moulins à bras fut vite abandonné.

Il se trouvait sur la Turdine et la Brévenne des battoirs à chanvre26

Au dessous de Collonge et de Louhans existait l’usine des Martinets pour le cuivre; le moteur était actionné par une dérivation de la Brévenne.

Les rues de l’intérieur de la vieille Arbresle sont restées étroites, sinueuses, escarpées et les carrefours et impasses sont nombreux. Toute apparence du Moyen-âge n’est pas  détruite; maint ressaut dans la ligne des rues semble encore avoir pour destination des embuscades contre un ennemi qui aurait forcé la première enceinte. Cet aspect heurté, imprévu fait le désespoir des aligneurs modernes mais la joie des artistes.

""  Plan de 1885

La principale artère de la vieille ville, allant de la porte de la Madeleine à la porte Sapéon était habitée par la noblesse et la bourgeoisie qui occupaient les étages supérieurs de leur maison et louaient généralement le rez-de-chaussée pour en faire des boutiques de marchandises diverses. Aussi l’usage de bancs de pierre posés à une certaine hauteur à l’extérieur, pour l’étalage des marchandises était-il général dans les constructions sur tout le parcours de cette longue artère où se tenaient marchés et foires.

Dans les mêmes maisons, l’escalier en colimaçon emplissait une tourelle, signe exclusif et distinctif de la noblesse de leurs hôtes. Toutes, à peu près, avaient un écusson sur leur façade.

Les sculptures des façades, leurs niches ornées, des galeries intérieures à voûte surbaissée, avec nervures, modillons, pendentifs, des pièces vastes aux portes saillantes, ornées ou lambrissées, des fenêtres à croisillons, des châssis à rainures, avec des vitraux de couleur se voyaient dans nombre de maisons, dénonçant quelque fortune et des goûts artistiques.

Les toitures des maisons avaient généralement un défaut: elles avançaient grandement sur la rue au point de se toucher presque, interceptant l’air et la lumière mais, d’un autre côté, cela avait l’avantage d’abriter les passants et les marchandises étalées.

En entrant par la porte de la Madeleine, la première de ces demeures qui frappait le regard c’était celle des frères Lagoutte, située à droite. Puis venait celle où se voit encore aujourd’hui, sur un cartouche, les armoiries de l’abbaye de Savigny, deux mains entrelacées, maison basse, propriété du monastère abritant probablement un de ses hauts fonctionnaires.

Plus loin et toujours à droite, s’élevait un grand bâtiment à tourelles qui, à l’angle du four banal ou seigneurial, s’étendait vers la rue Saint-Jean27.

 De l’autre côté de la place s’élevait la maison Sainclair, de grande apparence pour l’époque.

A l’angle de la place, à gauche et de la rue du Grand Pan, se voit la belle habitation à tourelles de la famille Saint-Lager28 dont les fenêtres à croisillons avec vitraux coloriés à losanges et les vastes et antiques cheminées étaient choses remarquables.

A l’autre angle de la rue du Grand Pan et de la place se voit la maison du four banal qui n’a guère de remarquable que les deux étages en encorbellement sur la rue. Après les deux premières maisons, à droite et à gauche de la rue du Marché, celles qui suivaient jusque vers le milieu de la rue Sapéon étaient, pour la plupart, percées de larges baies et méritaient d’être vues.

Une attire encore l’attention, c’est la maison à tourelles dite du cardinal ou maison Pignard29. C’est un très curieux spécimen du quatorzième siècle non tout à fait intacte, du moins assez  conservé, avec arceaux intérieurs, hautes cheminées à médaillons sculptés, voûtes à nervures et, fermant les arrêtes, des anges bouffis taillés artistement.

""  La maison dite "du Cardinal" ou "de Jacques Cœur".

A la suite de cette maison Pignard s’élevait une ravissante façade avec un délicieux intérieur appartenant naguère à la famille Sarrazin, véritable bijou du quatorzième ou quinzième siècle. Ce bijou a été remplacé par une vulgaire bâtisse.

Plus bas, étaient encore d’autres vieilles façades que nous avons eu le regret de voir également démolir et remplacer par des constructions au goût du jour.

A la suite, la maison Terrasse a conservé quelque chose d’autrefois, sa cour, ses galeries intérieures, ses voûtes à arrêtes et consoles sculptées, son bel escalier tournant dans une tour, donnant une idée de la sorte de splendeur qu’avait cette demeure.

La maison dite de la Pompe qui vient ensuite a malheureusement perdu son cachet primitif.

En revenant vers la place du four banal, dans la rue du marché et en face de la maison du cardinal se trouvait l’Hôtel de Ville ou Maison des Consuls. La salle des délibérations, placée au premier étage, était vaste et soutenue dans son milieu par un gros pilier de pierres massives. Le trait le plus saillant de cette pièce, aux solives apparentes et ornementées, était une haute cheminée au manteau relativement colossal, et de grands chenets pouvant servir d’appui simultanément à tous les pieds des conseillers et des notables, comme le haut manteau pouvait abriter les personnages de grande stature.

Le vieil hôtel communal servait aux réunions populaires, aux élections comme aux délibérations des édiles. Il a été démoli au dix-neuvième siècle pour faire place, ainsi que tant d’autres curiosités architecturales, à une maison vulgaire.

 Sur la même ligne et un peu plus loin se dressaient les bâtiments d’une riche habitation ou d’un couvent ayant issues rue du Marché et rue du Puits de la Chaleur ; il n’en est resté qu’une salle voûtée, chapelle ou réfectoire, assez intéressante.

Enfin, au bout de la rue du Marché et à l’angle de la rue Bourgchanin30, on voit une maison portant sur sa façade le cachet de plusieurs époques ; les pierres d’angle sont taillées en colonnettes avec mascaron à l’extrémité. Sur le retour de la rue Bourgchanin, il existait une exquise petite fenêtre byzantine.

Sur la place voisine, dite des Triompheurs31, deux assez belles constructions, l’une offrant une niche à madone délicatement sculptée datée de 1525.

 A l’entrée de la rue Sapéon, l’ancienne maison Rodet et Lagaf a conservé quelque peu sa physionomie primitive avec quelques sculptures et sa porte ornée. Cette maison a malheureusement été enfouie par les remblais jusqu’à moitié de son rez-de-chaussée.

La même rue a conservé encore quelques habitations anciennes, des armoiries, des tourelles, des baies couronnées, des nervures et des fenêtres à croisillons.

Dans les fiefs de la campagne de l’Arbresle, on retrouve ceux de Chambard, des Mollières, de Beauregard et du Grollier ou existent de très belles armoiries, propriété Sainclair actuellement.

Chaque jour voit disparaître quelques uns de ces vestiges qui nous reportaient aux époques du Moyen-âge ou à sa fin. C’est pourquoi nous avons dépeint cette intéressante petite ville de l’Arbresle avant qu’elle ne finisse par être entièrement transformée, plus ou moins heureusement…

Aux alentours de l’Arbresle il y avait encore un certain nombre de petites fermes avec pigeonniers; quelques unes existent encore, indiquant des fermes nobles ou tout au moins des appartenances à la haute bourgeoisie.

Proche de l’Arbresle, mais sur le territoire d’Eveux, il y avait le fief de Bigoud, existant encore en partie et sur le territoire de Saint-Germain le fief de Moreillon32, appartenant autrefois à M. Menet.

Parmi les possesseurs de divers fiefs de l’Arbresle ou de ses alentours, figurent les familles d’Odieu, d’Albon, de Talaru, d’Epinay, de Grollier, de Masso, de Lagrange Crémaux, de Planet, de Gaignières, de Beauregard, Bonnaport, Gonyn de Lusieu, de Moreillon, Dupuys, de Valous, de Pomeys.

La plupart des artistes lyonnais ont enrichi leurs albums de quelques vues de l’Arbresle ou de ses environs, entre autres les de Boissieu, les Grobon, les Guy  ne l’ont pas jugés indignes de leur pinceau ou de leur burin. Il existe d’ailleurs au musée de Lyon un tableau représentant l’intérieur du château un jour de marché.

""  "Le marché aux animaux de L’Arbresle" – Louis Guy – 1851

 

 

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